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livre des ombres
Note retrouvée dans les décombres d’une maison brûlée

« Horace,

Je crois que j’ai commis une terrible erreur.

Ils m’ont vu, ces limaces paresseuses en armure d’or, ils m’ont vu.

Je t’en prie, sois prudent, et si tu n’entends pas parler de mois dans les deux prochains jours, disparais et ne reparais plus. Brûle ta demeure, efface ton nom, ne croise plus jamais le regard d’un garde. Je n’ose imaginer ce qu’ils pourraient nous faire, s’ils étaient amenés à comprendre l’amplitude de nos recherches. Ils ne comprendraient pas… Comment le pourraient-ils.. ?

Avant que le pire n’arrive, je veux toutefois te faire part de ce qui s’est passé cette nuit.

Tout a commencé par de l’écriture automatique, ce vieux rite abscons. Je sais que tu m’as mis en garde, et a formellement interdit à ma femme de le pratiquer, mais.. Je croyais que ce n’était que de simples superstitions.

Et pourtant, sa rune s’est éveillée.. Cette rune impie…

Les murs tremblaient, et avec eux tout le mobilier. Les chandeliers se sont brisés, les bougies ont été soufflées. Soudainement, nous fûmes prisonniers d’une tempête plus impérieuse que le plus terrible des orages.

Ma femme s’est alors mis à crier, puis un silence pesant a s’est imposé. Lorsqu’elle est revenue à elle… Elle n’était plus elle-même. Ses yeux étaient révulsés, ses doigts articulés dans des positions impossibles. C’est à ce moment que cette maudite gouvernante a déguerpi, et dans sa halte a alerté quelques gardes.

Ma femme s’est adressée à moi, mais sa voix n’était plus la même. Il y en avait plusieurs, des dizaines peut-être. Et toutes s’adressaient à moi. Elles me maudirent, se moquèrent de mon arrogance. Elles savaient tout de moi, et me parlaient comme si je leur étais inférieur.

C’était comme si j’avais ouvert une porte sur l’enfer, et que j’en étais réprimandé. Le pire fut lorsque - [le reste de cette page est brûlé]

Dans cette cacophonie, je suis parvenu à me souvenir de quelques noms. « Aelthimar », le souverain des serpents, « Horthrik le chasse-lumière ».. Et.. Il y avait une voix, plus claire que les autres, qui ne répétait qu’un mot, comme un murmure glaçant derrière mon oreille, « Leviathan ».

Je sentis mon coeur se rompre, mais avant que je n’eus le temps de courir vers elle, ma femme se mit à convulser, son énergie la quittant un peu plus à chaque respiration frénétique qu’elle s’imposait.

J’entendis les gardes accourir et.. J’admets honteusement avoir pris la fuite. Tout ce que je me souviens, c’est la voix de ma femme… sa vraie voix. Elle ne dit qu’un mot, avant que son esprit ne divague. “P̸̳̯̤͑̍̆à̶̜n̷̜̲̫͋̍̀d̸͇̲̾̕ę̷̞͖̅͆m̵̰̹̑o̴̯͒̍ǹ̸͕i̶̗̘̯̅͝u̴̹͓̕m̸̳̘̄̈”.

J’ai couru aussi vite que mes jambes me portaient, les gardes m’ont manqué de peu. Je ne sais même pas si… Elle est encore en vie. Je suis parti me réfugier chez un ami, le temps de raconter mon histoire et de t’écrire cette lettre mais…

Je ne pourrais pas les semer éternellement. Et depuis cette mésaventure, j’ai.. j’ai l’impression d’être épié, que quelqu’un rôde dans mon ombre, et que mes erreurs sont sans cesse sur mes talons.

Horace, peu importe ce que tu fais, tu dois faire passer le mot. Les démons sont - [le reste de cette page est brûlé...] »

Notes sur la religion oubliée, Oregon Marthys, historien,

« L’époque où le peuple se référait à des divinités pour exprimer sa foi et ses frayeurs est révolue. Les Dieux, aussi puissants soient-ils dans les esprits, ne sont finalement que des concepts créés par la plume d’un mortel. Du moins, c’est que je déduis de ces différents écrits retrouvés dans les décombres de ce qui furent jadis d’autres royaumes, durant des expéditions périlleuses.

La perte de ces documents et la mort de centaines de milliers de citoyens a rendu toute forme de foi caduque. Depuis que le Savoir est tombé dans l’oubli, rares sont les personnes capables de tenir une réelle conversation sur ces entités divines ; d’après les écrits, les royaumes d’Avalon chérissaient une multitude de dieux et de déesses d’une seule et même religion. Pourtant, la voilà tombée entre les griffes des Abysses.

Aujourd’hui, les seules divinités connues du peuple ont été renommées. Leurs véritables noms ont été effacés par le temps et les batailles ; connues sous les appellations de l’Ordre et du Chaos, ces forces cosmiques ne sont plus que le reflet de la volonté du peuple.

Je n’ai aucun doute sur le fait que le peuple se crée de nouvelles divinités. On a tous besoin de quelque chose auquel se raccrocher ; un moyen de justifier nos faits et gestes, un idéal à poursuivre et une façon de s’efforcer à suivre un chemin qui nous paraît être le bon.

Je ne possède pas la foi. Mais j’espère pouvoir un jour retrouver ces écrits ; l’Histoire se doit d’être complétée. Je ne tolère pas que la mémoire du peuple se retrouve ainsi piétinée. Le peuple doit connaître son passé. Retrouver son héritage. »

Témoignage apeuré

« Je..

Je venais à peine de sortir de chez moi, je me rendais à la taverne… J’avais travaillé au champ toute la journée, j’avais juste envie d’une bière et d’un peu de calme. J’ai remonté la rue principale, sans m’attendre à rien. Je passais le pont, lorsque je les ai entendu, en contrebas. Un homme et une femme, tout deux vêtus du blanc de Sa Majesté. Ils agitaient dans tous les sens un pauvre quidam en lui aboyant dessus. Je n’entendis rien de précis, sinon qu’ils étaient apparemment à la recherche d’une « guilde ».

Ils le jetèrent au sol et se mirent à le ruer de coups. Au coin de la rue, un passant avance d’un pas, mais tourne les talons aussitôt. Même si j’étais au-dessus de la scène, je pris peur et m’accroupis à mon tour derrière le pont… Le bruit, je vous jure… Ce bruit. Les os qui se rompent, les complaintes étouffées par le sang, la violence décomplexée… J’aimerais tant pouvoir l’oublier.

Ils repartirent après avoir taillé le malheureux en pièce. Je les observai tandis qu’ils entraient dans ce que j’imagine être la maison du citoyen agonisant. J’entendis les meubles valdinguer, les carreaux se briser, les lits se retourner. Ils cherchaient quelque chose, comme si leur vie en dépendait. Plus tard, ils étaient de retour dans la rue, face au citoyen qui avait essayé de ramper pour quitter cet enfer. Ils s’approchèrent de lui, l’attrapèrent par le col, et l’emmenèrent dans l’ombre…

Par tout ce qui est sacré.. quel secret peut bien justifier un tel massacre, et surtout… Pourquoi Sa Majesté tolère que ses soldats torturent ainsi son propre peuple ? »

Note ... ?

« Grand Majordome,

Je vous informe que Sa Majesté ne se sent guère bien en cette matinée. Elle m’a chargé de vous transmettre qu’elle escompte annuler ses déplacements, et observera un peu de repos dans ses appartements privés, en compagnie de sa garde rapprochée. Il vous incombe désormais de vous occuper des conséquences des heurts de cette nuit, et je vous prierai évidemment de faire le nécessaire pour que cela ne s’ébruite pas.

Sachez que Sa Majesté craint d’ailleurs d’avoir été reconnue lors du [...] et aimerait en ce sens que vous fassiez, une fois encore, ce qui est attendu. Comme convenu, vous aurez les autorisations nécessaires pour exercer l’autorité, veillez simplement à ne pas oublier de disperser les pros-[...].

Quant aux demandes récentes de l’Académie au sujet des dernières exactions, vous leur communiquerez le refus de Sa Majesté ainsi que ses bons sentiments. En cas de réaction virulente, vous pouvez leur rappeler [...] et, qu’en ce sens, l’ingratitude ne leur est pas recommandée.

J’ai conscience de l’originalité de cette situation, vous savez comme moi qu’il n’est pas dans nos habitudes de nous organiser ainsi. Tâchez de jeter cette note dans les flammes après sa lecture, et nous reprendrons notre rythme classique dès demain. »

1110701, 1841 : p.1

« Aie,

Je crois que je suis dans de beaux draps.

Ce matin, Sa Majesté est venue me voir, moi, [...] pour me soumettre un projet confidentiel sur lequel elle aimerait que je travaille. Elle m’a fait part d’une idée désuète, celle de trouver refuge sous [...], ainsi qu’une volonté de chercher la réponse non plus sous nos pieds, mais au-dessus de nos têtes.

“ Un château qui vole ? “ Que je lui ai dis en rigolant, avant de m’agenouiller par peur d’avoir été trop familier… Que voulez-vous, je n’ai jamais été bien courageux. Enfin, le problème n’était pas ma plaisanterie, c’était plutôt qu’elle; elle ne plaisantait pas.



Comment vous voulez que je construise ça, moi ? C’est ça, que j’aurais dû lui dire. Au lieu de ça je me suis mis à bégayer, et j’ai accepté. Quel choix j’avais, après tout, la dernière fois que quelqu’un lui a dit non- [...].

J’ai un an. Et des poussières.

Je dois faire ça avec une équipe réduite, dans l’ombre. Moi qui étais sur le point de mettre en place ma première prothèse synthétique…

… Je sais pas pourquoi on m’a choisi. Mais ça ne me dit rien de bon. En général, ceux qui détiennent les secrets confidentiels ne font pas long feu…

Le pire dans cette histoire, c’est que c’est possible. Dans l’idée, du moment qu’on a un réservoir assez grand, et une source assez inépuisable, c’est possible. Mais je crois que personne ne se rend compte de la quantité d’énergie nécessaire à faire voler ne serait-ce qu’une maison, alors un château entier ? Des milliers de personnes ? Il faudrait…



Non, je préfère pas y penser.

En revanche, je vais devoir réfléchir à comment cacher ça aux yeux du public, et je crois que Sa Majesté m’a soufflé la solution. On va tout enfouir sous le sol. J’ai plus qu’à espérer que les lignes telluriques ne sont pas de simples légendes.

Il va falloir creuser profondément, très profondément. Et trouver un moyen de récolter assez de mana pour rayer de la carte un royaume ou deux.



[...] je crois que j’ai une idée. »

Les abysses

« ils arrivèrent, munis d’une force de frappe démentielle, d’un appétit sans limite pour le carnage et le mAssacre. d’abord petItes, elles assaillirent des villages, faisant disparaître dans le voile de la nuit quelques hamEaux, depuis rayés de la carte. puis plus grandes, quAnd vint le tour des villes et des capitaleS, quand la démesure était totalE, et que tout espoir était condaMné.

un nuage noiR, inarrêtable, immuable. impossible de lutter fAce à cette force quasi divine, cette tempêTe venue d’ailleurs. nOus étions démunis, vulnérables, tandis que l’extinction frappait nos confrères restés au sol. du haut de notre promontoire d’aciEr, nous entendîmes les cris, et virent notre terre verte et luxuriante se Couvrir de naphte et de chaos.

de ce que nous avons vu, je ne retins que leurs formes abOminables, leurs aNatomies insensées, la vitesse avec laquelle Ils déferlaient sur notre foyer. nous compRîmes bien vite que notre technologie ne nous sauverait pas face à cet ennemi, que notre acier était risible. contraints de songer à aUtre chose qu’à notre extinction, nous réfléchîmes alors plutôt à comment Défaire les abysses. et nous comprîmes qu’il faudrait tôt ou tard examiner de plus près ces corps décharNés. qu’il faudrait mener des expéditions vengeresses pour effectuer des prélèvements, surtout pas attaquer de front sans connaître leur poInt faible.

nous conclûmes également que les abysses éTaient dotées de magie. comme d’une neuvième école leur étant propre, ou comme une malédiction que lEs bêtes portaient en leur sein. mais il y a plus grave, et je nE puis qu’espérer que quelqu’un le comprenne avant que la Fin ne sonne vraiment pour nos Lamentations.

Chronologie perdue du monde d’Avalon, par [nom barré]

« Espérer retracer l’histoire de notre civilisation est peine perdue, voilà quelque chose sur lequel nous devons tous être d’accord. Tout ce que nous pouvons affirmer avec certitude, c’est que nous sommes entrés depuis un siècle dans “ L’ère nouvelle “, caractérisée par le nouvel essor de l’humanité après sa défaite contre les Abysses.

Par respect envers nos ancêtres tombés au champ d’honneur, nous appelons la période précédente “ l’ère des braves “, et nous estimons qu’elle s’est naturellement achevée il y a un peu plus de cent ans. Quand a-t-elle commencé ? Il est impossible de l’estimer avec certitude, encore qu’il est probable que nos aînés ont pu profiter du continent pendant plusieurs siècles.

Il y a donc fort à parier que des guerres intestines et des invasions ont ponctué l’ère précédente, et qu’il est même probable que le royaume dans lequel nous vivons n’avait pas que des amis dans son voisinage. Ce qui soulève la question : à quel point les animosités de notre bien aimé royaume ont eu un impact sur la création de Havrecoeur ?

Selon les érudits, il ne serait pas exagéré de penser que l’humanité existe effectivement depuis près d’un millénaire, compte tenu de notre technologie et de l’avancée de nos civilisations. Un millénaire passé loin de la dangerosité absolue des abysses et de leurs apôtres, ce qui laisse pantois quant à la raison de leur soudaine arrivée dans notre quotidien autrefois bienheureux.

Parlant de Havrecœur, nous savons donc que la Cité a cent ans, et que la Châtellerie faisant office de cœur battant est le dernier vestige de l’ancien temps. La première muraille a été achevée vingt ans après que le château eut atterri et que cinquante ans après son retour au sol, tout le monde ou presque était déjà logé. Les dernières décennies ont donc été passées à améliorer la vie des citoyens, planter les champs, et définir la marche à suivre pour l’avenir. Il n’y a cependant que depuis quelques années que cette dernière question est sur toutes les lèvres, et que les exactions entreprises par les principaux groupes ponctuent la routine. »

???

« Trop de mensonges.

Il est venu le temps des vérités.

Les réunions au Domaine ne suffisent plus, maintenant que nous avons mis la main sur ce que la monarchie a jalousement gardé loin de nos yeux. Il ne nous reste plus qu’à déchiffrer cette ultime énigme, et l’ordre naturel des choses reviendra.

Nous avons eu tort de douter des méthodes du Troisième, ainsi que de la suspicion d’un complot plus grand encore. Si nous l’avions cru avant sa soudaine disparition, peut-être n’aurions-nous pas à nous réunir de la sorte aujourd’hui. Si nos doutes s’avèrent fondés, ce qui s’est passé à l’Académie il y a vingt ans ne sera en comparaison qu’une anecdotique partie de plaisir.

Un de nos frères a disparu, et avec lui le savoir qu’il s’apprêtait à révéler. Tsk, comme s’il n’était pas suffisant de censurer ainsi les écrits de nos confrères et consoeurs… Est-il mort ? Emprisonné ? Présentement torturé dans les geôles de Sa Majesté ? Nous ne pouvons le dire. Sache, Monsieur W, que nous nous efforcerons de poursuivre ton œuvre. Que tu seras le dernier des nôtres à souffrir.

Grâce à un de nos associés, nous avons retrouvé son ancienne demeure, laquelle avait été fouillée de fond en comble par des pacificateurs zélés. Fort heureusement, et de manière très attendue de la part de ses êtres perméables à toute forme d’intelligence, des détails ont été négligés. Un coffre encastré dans un mur, derrière le tableau de Sa Majesté que tout bon foyer se doit d’avoir. Nous ignorons toutefois la combinaison nécessaire à son ouverture, et, en praticien éclairé, il y a de fortes chances que tenter d’en forcer l’ouverture du coffre détruirait également son contenu. Tout ce que nous savons c’est qu’elle est composée de quatre chiffres et aurait un rapport avec [...].



Il y avait également quelques écrits particulièrement cryptiques relatant d’un certain essai publié par l’un de nos confrères au sujet des Abysses. Nous sommes présentement en train d’essayer d’avancer à ce sujet et ne tarderons pas j’en suis sûr à comprendre ce qui se cache derrière ces formes géométriques étranges.

Fichtre. Vieux frère, tu ne voulais vraiment pas que ton savoir tombe entre les mains de n’importe qui, n’est-ce pas ? »