Incohérente Excessivement ambitieuse Entreprenante Insaisissable Impitoyable Exigeante Passe-partout Flatteuse Stratège Imprévisible Sournoise Très amicale Accessible Secrète Travaille dans l'ombre Insoupçonnable Innocente Fouineuse Généreuse Souriante Appliquée Minutieuse Lunatique Obsessive Très peu d'empathie Maniaque Sur le fil Difficile à suivre Prompte aux traits d’esprit nébuleux
Corriger la confusion autour de l’ineffable a longtemps été une lubie de l’humanité. Dissiper le brouillard séparant la bêtise de l’omniscience, et enfin obtenir l’épiphanie longtemps lorgnée. Hélas toutes les fantaisies ne sont pas faites pour être exaucées, et ceux qui ont fait vœu de décoder cette énigme qu’est Blodwyn sont hélas tous devenus parjures ou apostats, infidèles aux mots prononcés face à l’éternel. Pour son plus grand plaisir, soit dit en passant.
Elle n’est pas de ceux qui brident leur intellect pour convenir à l’usage et profiter d’une conversation bénigne. Son esprit, aussi cultivé qu’il est irrationnel, est sans commune mesure. Son plus bel atout, le plus redoutable également, à la fois plus grande bénédiction et source de tous ses maux. Invitée par son expérience à considérer que personne d’autre qu’elle-même n’est apte à suivre le flot de ses pensées, elle s’y perd souvent en solitaire et fait irruption dans la réalité avec une délicatesse effrontée et barbare. Lorsqu’elle ne parle pas, elle observe, lorsqu’elle n’observe pas, elle fomente. A chaque seconde supportée, à chaque pas résonnant dans les couloirs de la châtellerie, à chaque rire moqueur, elle réfléchit.
Comme souvent avec les prodiges, il faut parvenir à supporter la condescendance et l’arrogance qui s’imposent, quoiqu’en tant que Dame de la cour, elle sait se rendre agréable. Etrangement accessible pour qui devrait normalement être inatteignable, Blodwyn cultive son jardin, lequel possède des parcelles à peu près partout. A son grand dam, sa profession lui impose de côtoyer énormément de personnes, et d’avoir un pied dans chaque strate de la société. Elle donne ainsi des réceptions, fait semblant de s’intéresser à l’art ou d’être pourvue d’empathie. Elle fait preuve de charité avec le forgeron, ne se formalise pas du paysan qui comprend un mot sur deux et ne s’impatiente pas face au soldat benêt. En conséquence, l’écrasante majorité de la population s’en fait une opinion méliorative, ce qui en soi est une véritable aberration compte tenu qu’il est rarissime qu’autrui lui évoque de la sympathie en retour.
Amicale, rieuse, généreuse et sympathique envers ceux dont elle cherche à s’attirer les faveurs, elle est pour beaucoup de gens une amie sincère. Quelquefois excentrique, parfois originale, mais toujours agréable. Elle a appris à rire et pleurer, à imiter la surprise et à attiser chez autrui la curiosité et le besoin. Ils sont ainsi attirés dans la toile invisible et s’y engluent à leur insu. Là, ils peuvent rester en stase plusieurs années et profiter d’un quotidien bienheureux, jusqu’à ce que le danger s’approche et qu’il soit nécessaire qu’un élément sacrifiable épargne à la diablesse quelques tracas.
S’il est sûrement vrai que les prédateurs les plus létaux sont ceux qui ont l’intelligence de dissimuler leurs armes, sachez qu’il n’y a pas plus inoffensif sur terre que Blodwyn. Elle ne menace pas mais persuade, elle ne contraint pas mais rallie, elle n’endommage pas, mais annihile jusqu’au dernier atome.
Elle n’a pas de quête, pas de croisade vengeresse, pas de motif. Sa seule ambition est de voir jusqu’où une calamité dans son genre peut monter, et quelle pourrait être l’amplitude du chaos généré. Son seul adversaire est l’ennui, un vieil ami qu’elle repère sans peine chez autrui, et dont elle fuit la compagnie comme l’on fuirait la peste. A ses côtés, la vie semble être insouciante et dépourvue de gravité, comme si le fameux plan numineux de l’avenir que tout le monde s’échine à déchiffrer lui était une énigme depuis longtemps résolue. Tout est autorisé, rien n’est trop décadent, et aucune instance n’est assez profondément implantée pour la dissuader d’en arracher les racines.
Elle expose pourtant certaines fulgurances immatures et colériques, faisant parfois montre d’un comportement enfantin lorsqu’un obstacle se met au travers de sa route, ou d’un humour déplacé face à des drames où le silence serait de mise. La vérité est que contrairement à ce qui est suggéré, elle n’est pas dépourvue d’émotions, elle fait simplement de son mieux pour les dissimuler et y échoue d’ailleurs parfois. Passant du calme imperturbable à la colère la plus furibonde en un battement de cil, elle est dans ces rares instants capable de tout. Les incursions de la folie dans son quotidien sont d’ailleurs croissantes.
C’est ainsi une personne qu’il n’est pas pertinent de placer sur le spectre du bien et du mal, de la gentillesse ou de la méchanceté. Elle évolue à plus grande échelle, là où les conséquences ont des retombées dramatiques, et où le jeu est le plus divertissant. Un antagoniste, bien dissimulé à l’intérieur du système, que l’on ne peut dénicher sans que ce dernier tout entier s’effondre.
Elle porte en elle la cruauté de ces parasites dont on ne peut se séparer, de cette excroissance qu’on ne peut inciser, de cette tumeur qu’on ne peut guérir.
L’adversaire. Venu pour secouer l’arbre et le dépouiller de tous ses fruits.
Rune démonique : ??? / Azhazel
Alchimiste : En amatrice de savoirs interdits et de pratiques aux applications… diverses, l’alchimie a toujours été pour Blodwyn une évidence absolue. C’est la chose qui se rapproche le plus d’une vocation pour elle, un art auquel elle accorde beaucoup de son temps et de son énergie. Spécialisée dans la création de poisons, elle compte beaucoup d’alchimistes dans son entourage et a à cœur les intérêts de la profession.
Parcours Académique & Militaire : Bien que diplômée de l’Académie avec les honneurs du fait de ses compétences intellectuelles et de son assiduité, elle n’a pas choisi d’y faire long feu. Lorsqu’elle estima ses aptitudes suffisantes, elle tourna le dos à une potentielle carrière d’enseignante, essentiellement à cause de certains imbroglios politique. Sa maîtrise de la magie est excellente sans être parfaite, cette dernière étant utilisée de manière insidieuse, que ce soit pour détruire autrui ou pour le ‘convaincre‘ de se rallier. Ses relations avec l’Académie sont paradoxalement bonnes, tant et si bien que malgré son inclination pour l’alchimie, il lui arrive encore de s’y rendre.
D’un point de vue militaire en revanche, Blodwyn figure dans les annales comme une des pires recrues de l’histoire de Havrecoeur. Dotée d’une force physique risible, très peu prompte à l’effort, aucunement volontaire lorsqu’il fallait ramper dans la boue, impossible à discipliner : elle faisait le malheur de ses instructeurs et de ses camarades. Complètement dépourvue de la notion de travail d’équipe et inapte à montrer le moindre signe d’empathie face à un confrère en peine, elle est l’opposé absolu du soldat prodige. Sans l’importance de son nom et quelques ficelles tirées par ses géniteurs, elle aurait sûrement été de corvée de patates jusqu’à ses quarante ans à force d’accumuler les actes d’insubordination et de dédain à l’égard de la hiérarchie. Fantôme qui hante encore aujourd’hui la mémoire des soldats ayant respiré le même air qu’elle, elle est perçue comme une sorcière qu’on ne se lassera jamais de châtier. Elle soupçonne d’ailleurs que ses convocations à des missions pénibles et ennuyantes sont issues des rancœurs de naguère.
Argentière : La profession de Blodwyn. Grande Argentière de Havrecoeur. Un rôle ô combien important auquel elle s’est propulsée suite au malencontreux et regrettable décès de son père. La demi-diable occupe cette fonction depuis près de dix ans maintenant. Elle est en charge des dépenses de la cité, et par extension de la bonne santé de sa trésorerie. Conseillère privilégiée dans les plus hautes instances du gouvernement, elle régule la circulation des fonds, valide ou rejette certains projets et se plie en quatre pour renflouer les caisses à l’approche d’un banquet ou d’une opération.
Du fait de cette responsabilité, elle se doit d’avoir un œil partout, de composer avec les intérêts de chacun, de naviguer d’un allié à un autre et de savoir qui flatter et qui vexer, et ce au bon moment. Initiée à un nombre important de secrets d’état et cachotteries des grands pontes, elle jongle entre persuasion, chantage et corruption pour obtenir un investissement ou dissuader quelqu’un de faire obstacle.
Malgré ses méthodes parfois douteuses, son efficacité est incontestable et lui octroie un genre d’accord tacite, bien qu’elle soit évidemment soumise à l’autorité de Sa Majesté et se doit de lui rendre des comptes quotidiennement. Elle est connue pour être d’une loyauté sans faille envers sa souveraine, une personne suscitant d’ailleurs chez elle une certaine fascination, paraît-il.
Cuisinière : Exercice cathartique si important pour Blodwyn qu’il s’agit presque d’un rituel pour elle, elle passe énormément de son temps libre à cuisiner. C’est pour elle un art subtil, une cérémonie où chaque détail compte, du choix du couteau à la provenance de la bête à découper. Adepte des recettes anciennes et d’une cuisine originale et sophistiquée, elle supervise tout et part souvent de rien. Toujours curieuse quant à ce qu’autrui estime de sa gastronomie, elle aime à donner des réceptions et avoir du monde à sa table. Pour autant, les diners en tête à tête revêtent chez elle une ambiance parfois perturbante. Si elle cuisine pour vous, et uniquement pour vous, c’est en général soit une excellente nouvelle, soit votre dernier repas.
Elle s’assoit délicatement et croise les jambes d’un geste emprunté, cherchant à excuser sa présence pourtant demandée. Ses lèvres s’humectent mais sa voix ne sort pas. De gauche et de droite, elle lance des regards mouillants qui ne trouvent pas preneurs, et dans sa poitrine son cœur meurtri cherche à s’échapper. En face d’elle, les visages serrés et autoritaires des plus grands pontes de Havrecoeur lui imposent une sérieuse inquiétude. L’ambiance est glaciale, crispante.
— Madame l’Argentière, veuillez nous excuser pour cette convocation inattendue. Exprime l’interrogateur d’un ton solennel, l’image de sa main impeccablement reflétée par le bois vernis de la table.
— Non je, je vous en prie. J’ai appris ce qui s’est passé, c’est affreux… Deux mains se posent sur ses lèvres et un éclat de voix laisse paraître sa fragilité. Sommes-nous en danger ? Ose-t-elle demander après une seconde interdite.
— Nos meilleurs éléments sont sur l’affaire, ils ne tarderont pas à débusquer le coupable. Rassure aussitôt l’homme bedonnant, la main prête à prendre des notes. Monsieur Harold et vous étiez particulièrement proches, je n’ose imaginer la peine que vous inflige sa soudaine disparition.
La femme baisse la tête et se retient de pleurer, d’une main frêle elle saisit alors un verre d’eau et s’y abreuve.
— Je le considérais comme mon propre frère. Je.. excusez-moi, je dois vous paraître ridicule. Sa voix devient fluette et elle opine négativement du chef, désemparée et impuissante. Une larme lui échappe enfin.
— Non, aucunement ! Il serait inhumain de vous en vouloir d’être émotive. Sa perte peinera grandement Havrecoeur, Sa Majesté en personne en sera affectée. Je dois néanmoins vous demander, savez-vous s’il avait quelques ennemis ? L’homme tente d’effectuer son travail malgré la culpabilité qu’il ressent à l’idée de torturer une pauvre dame de la sorte.
— Des ennemis ? Harold ? Je ne connais personne qui n’avait pour lui ne serait-ce qu’une once de ressentiment. Il est.. oh, était, un modèle de vertu et de loyauté. Il y aurait peut-être ces magiciens qui appellent à la violence, ou ces assassins damnés qui troquent la vie d’autrui pour une bouchée de pain. Je ne saurais dire…
…
Tac. Tac. Tac.
La pièce baigne dans une lumière classieuse et sophistiquée. Les candélabres sont tous allumés, leurs silhouettes de platine et de cristal encadrant différents établis et secrétaires dispendieux. Pendues aux murs, les œuvres d’art envient la décoration moderne et décadente d’une des maisons les plus luxueuses du nouveau monde.
Tac. Tac.
Du sang coule sous la forme d’un filet discontinu sur le tapis brodé, éclaboussant la tenue de la maîtresse de maison. Au centre de la pièce, où devrait se trouver un bureau ou une table suffisamment vaste pour y accueillir la moitié de la noblesse, se trouve en fait un crochet, auquel est suspendue la dépouille d’un sanglier.
Tac. Tac. Le couteau s’infiltre sous le derme, glisse le long de la cage thoracique en toquant contre chaque os. La peau est retirée, et jetée avec négligence dans un seau posé là.
— Il est impoli d’observer les gens sans leur consentement, Alastor. Sa voix tranche le silence avec la même efficacité que sa lame courbe. D’un regard en coin, elle observe la silhouette désagréable et disgracieuse de son assistant, ne se donnant pas la peine de cacher son mépris pour lui. Il était dépourvu d’élégance et de courtoisie, vêtu de tristes guenilles et n’avait comme élément mémorable qu’un œil de verre.
— Mes excuses. Tout est prêt, Madame. Répond l’interrogé, lui aussi d’une voix solennelle. Monsieur Harold recevra une invitation à dîner ce soir, et je suis chargé de l’accompagner lors du trajet. Il semble que, conformément à vos prédictions, quelques-uns de mes confrères soient hélas indisposés à travailler aujourd’hui.
La bouchère souffle du nez, le regard attaché à la carcasse animale. Le couteau passe au niveau de la poche inférieure, indiquant qu’il est temps de vider la bête avant de la préparer. Dans un calme parfait, elle s’y attèle comme si l’activité lui était relaxante.
— Madame, si vous permettez… Demande l’assistant, qui se heurte au silence. Ce n’est que lorsque ce dernier se retrouve cette fois brisé par les chutes d’organes qu’il se décide à couvrir l’horrible mélodie. Il.. il amène ses enfants. Dont Hector.
— Harold n’est pas le seul qui a besoin de se nourrir, et puis les enfants égayent les réceptions, ils nous autorisent à brider publiquement notre intelligence et s’imposent comme la réponse à tous nos sauts d’humeur. Il serait bien sot de se séparer de cet atout. Qui est cet Hector, pour que tu retiennes son nom ? Obtient-il comme réponse. L’homme est médusé, le visage blême à l’idée de ce qui est impliqué.
— Madame… Ils vont mourir aussi. Rétorque l’homme, sa voix devenue chevrotante. Il espère ramener son employeuse à la réalité, tente de naviguer en eaux troubles et d’éluder l’impossible.
— Alastor. Elle se relève, le sang de la bête maculant sa chemise blanche. Elle lève un sourcil, hausse les épaules, et lui déclare dans la plus grande légèreté tout en l’observant comme s’il était un enfant imperméable à la logique la plus élémentaire : Oui. C’est le but.
…
— I.. Il y a fort à parier que cette attaque était préméditée par un opposant sérieux. Il recherchait une nouvelle fiancée, se lançait corps et âme dans la vie politique, embrassait des causes plus grandes… Ca ne ressemble pas à un coup du destin. Reprend l’interrogateur, de sa voix grave et heurtée. Toute sa famille était présente au moment des faits. Je.. Vous étiez la marraine d’Hector, le cadet, si je ne m’abuse ?
— Oh, Hector, non… Pas toi… Elle plonge une fois encore sa tête dans ses mains, au bord de la crise de nerfs. Je vous en prie, le coupable doit être puni ! S’exclame-t-elle sous le coup de l’émotion, de cette vengeance naturelle et insatiable, quoi de plus logique ?!
— Nous y veillerons, je vous en fais le serment. Répond l’homme investi et prêt à remuer ciel et terre. Selon certains témoins et vos propres dires, Monsieur Harold nourrissez quelques griefs à l’égard de certains partisans de l’Académie, en savez-vous quelque chose ?
— Que de simples bribes, j’en ai peur. Je sais qu’après le décès de sa femme, Harold a connu une période bien difficile. Lorsque ni la médecine ni la magie n’ont pu porter secours aux maux de sa bien-aimée, il se jura de réformer l’académie, qu’il jugeait obsolète. Selon lui, les alchimistes étaient les plus proches d’un remède, mais… La mort a frappé avant… Par tous les Dieux, qui donc osera reprendre son flambeau ? Attendez. Vou- Vous ne pensez tout de même pas que son projet pour l’académie l’a fait assassiner ?! Elle se dresse sur le bord de sa chaise, sur le point de défaillir à la simple idée qu’un complot de la sorte puisse être en œuvre dans la sainte cité d’Havrecoeur !
— Il est trop tôt pour affirmer quoi que ce soit, gente dame. Mais il est vrai qu’au plus nous fouillons, au plus nous trouvons des accointances. Avec le climat actuel, chacun s’attache à ses privilèges, nous ne pouvons estimer jusqu’où autrui est prêt à aller pour les préserver. Nous ferons le nécessaire pour que la cause que défendait Harold perdure, en son nom. En bon chevalier, l’homme s’impose comme une figure juste et guidée par l’honneur. Un parangon, protecteur des citoyens.
La femme vacille. Une autre gorgée d’eau vient lui permettre de retrouver de sa contenance, le surplus émotionnel devenant bien trop pénible à supporter. Le temps octroyé par cette gorgée d’eau est précieux, lui permet de contenir un éclat de rire.
— Si je peux faire quoi que ce soit… Dites le moi. Je ne recul-
Elle reprit la parole, mais la porte s’ouvrit dans un fracas assourdissant qui fit trembler le mur. Un homme fit son apparition, essoufflé, le dos vouté par le poids des nouvelles qu’il venait apporter. A voir son uniforme, c’était un éclaireur.
— Monsieur, on l’a trouvé… Le coupable… Murmura-t-il, s’exprimant aussi vite et clairement que ses poumons le lui permettaient.
— Hé bien ?! Parlez donc, que diable ! Reprit l’interrogateur, sous le regard émotif de la pauvre demoiselle brusquée par ces éclats de voix.
— C’était un garde de la châtellerie, Alastor Dorinel. Nous avons retrouvé son corps non loin, il avait ingéré un poison mortel quelques heures avant la mort de Monsieur Harold. Le mana résiduel correspond à sa magie. Explique l’inconnu.
Un grand heurte s’impose et manque de briser la table. Toujours vissée à son siège, l’argentière sursaute et observe l’échange d’un œil vide, le visage parcouru de lourdes et chaudes larmes. A l’autre bout, le bedonnant écrase son poing sur le plateau, d’une force telle qu’il s’en fissura sûrement les phalanges.
— Le lâche… Il s’est assuré qu’on ne le retrouve pas vivant. Maugrée l’interrogateur, debout, les poings serrés de frustration si grande qu’elle lui faisait ignorer la douleur.
— Il laisse une sœur derrière lui, tout ce qui lui reste. Elle est apparemment en passe de devenir magicienne et obtiendrait une bourse généreuse de la part d’un bienfaiteur, le montant dépasse le solde de garde d’Alastor. Devrions-nous aller la prévenir du décès de son frère ? Demande l’éclaireur d’un air innocent.
— Une mag… attendez une seconde. L’interrogateur emboite les pièces du puzzle, le brouillard se dissipe, l’épiphanie est proche, si proche. Il se redresse et aboie alors : Hors de question ! Amenez là ici sans tarder !
A ses mots, l’éclaireur disparaît. S’il n’était pas convaincu de la pertinence de l’opération, il savait qu’il n’avait pas le choix de la réaliser, car ainsi était faite la vie. Il ne lui restait plus qu’à espérer que la sœur chérie d’Alastor ne couve aucune attitude renégate.
…
La carcasse - désormais tranchée en deux, repose sur le plan de travail de la demoiselle. A l’aide d’un fusil à aiguiser, elle affine le tranchant d’un couteau de chef et s’apprête à obtenir de cette carcasse sanguinolente et bien peu intéressante les venaisons succulentes y étant cachées. Du plat de la main, elle avance un verre en direction de son assistant.
— Te souviens-tu des consignes, Alastor ? Demande-t-elle sans le regarder, obnubilée par son travail d’artisan.
— Utiliser la magie de sorte à ce que du mana réside encore dans l’air, e- L’homme commence à parler, mais sa parole est aussitôt confisquée.
— Si tu t’en souviens, réponds simplement oui. J’ai besoin de te faire confiance, non pas de te demander des preuves de ta loyauté à chaque fois que tu ouvres la bouche. Compris ? Sa voix est semblable au vent d’été, monotone et naturel, comme s’il avait toujours été ainsi.
— Oui, Madame, assurément. Je…
Il parle de nouveau, mais cette fois personne ne lui coupe la parole, sinon sa propre hésitation. Pour se donner du courage, il s’autorise une gorgée de vin, et se surprend à croiser le regard de son employeuse lorsqu’il repose le verre. Finalement, la bravoure lui monte et son âme peut enfin s’exprimer.
— Je ne peux pas laisser mourir ces enfants ! Ce.. ce n’est pas moi ! J’ai juré de protéger la veuve et l’orphelin, je ne veux pas de cette responsabilité, de ce sang sur mes mains ! Beugle-t-il, affirmant une ultime fois sa volonté propre.
Comme l’éclair qui tonne d’un coup dans la nuit, la jeune femme jette son couteau à l’autre bout de la pièce et envoie valser son verre contre le mur sous une pulsion de colère, une menace horrible et explosive, qui pourtant avait toujours été là. En un battement de cil, le danger monte.
Le visage froid et meurtrier, elle s’approche de lui et saisit son affreux visage d’une main, forçant ses joues contre sa mâchoire en imposant à son regard de croiser le sien.
— Qui est coupable, le couteau ou la main qui le tient ? Demande-t-elle en secouant son visage, remarquant ensuite sans surprise qu’aucune réponse ne vient à son interlocuteur. Tu es ennuyant, Alastor. Tu es le couteau, je suis la main. Ce sang n’est pas ton fardeau à porter. Remplis ta part du marché, laisse le reste aux grandes personnes.
Lâchant sa grippe, elle essuie sa main couverte de sang sur le visage de son assistant, autant par dédain que pour être certaine que son image soit comprise par le malheureux.
— Disparais. Ne reviens que pour le dîner, avec une bonne nouvelle, et un nouveau verre. Articule-t-elle d’une voix calme, bien que désormais nimbée d’une promesse funeste. Il n’en fallut pas plus pour que l’assistant débarrasse le plancher, en route pour son ultime tâche, ignorant le venin qui courait déjà dans ses veines.