Elle crache sur le parvis de la grande porte. Un bon gros molard, gras et plein de poussière. Un peu sa manière à elle de saluer les gardes lorsqu'elle rentre d'expédition, lorsqu'elle doit remettre les pieds dans ce bastion de l'humanité qui pourtant ne veut pas vraiment d'elle. Couverte de sang à moitié séché, sur son visage quelque égratignure traitées avec trop de légèreté, sa cape déchiré par endroit, elle pénètre dans la partie Remparts sous les regards inquisiteurs de ceux qui la gardent. Ses yeux rivés sur son objectif du moment, un objectif dont rien ne saura la détourner. Prendre un bain et se reposer.
Elle devait d'abord trouver la godiche que son contact avait mandaté pour l'accompagner dans un coin où elle serait tranquille, où elle pourrait se ressourcer. Un endroit où son nom ne fera pas partie des murmures. Elle avait une vague description de la fille. Même si le brigand avait surtout insisté sur la couleur identique de leurs masses capillaires. Comme si c'était vraiment important.
Elle s'arrête un instant, remonte son lourd paquetage sur son épaule et observe rapidement les environ. Avant de se diriger à grands pas vers la seule personne correspondant à la description et se trouvant à l'endroit prévu. Elle fait un boucan monstre à cause de son armure portant les marques inquantifiables de ses chasses et à laquelle s'ajoute la multitude d'armes qu'elle transporte avec son sac. Une lance, plusieurs épées, une hache et quelques unes encore dont son fidèle couperet.
Plantée devant la gamine, elle hoche la tête.
"C'est toi qui doit me conduire à ma chambre ?"
Alors qu'elle emboîte le pas à la plus jeune, elle ne s'attend pas à être ainsi assaillie de questions. Elle qui pensait déjà à la tranquillité qui lui serait bientôt octroyé, maintenant qu'elle a cette énergumène dans les pattes, elle ne lui a jamais semblée aussi lointaine et semblait s'éloigner d'avantage à chaque nouveau mot qui quittait la bouche de sa guide. L'air d'autant plus renfrogné, un regard appuyé, un soupir agacé lui échappe d'autant qu'elle émet la possibilité qu'elle, Morwen, soit une de ces incapables de la milice. Qu'ils aillent pourrir dans les abysses.
"Morwën. Chasseuse."
Sans s'étaler d'avantage en conversation, elle suit la route jusqu'à son chez-elle de fortune pour le temps qu'elle passera ici. Elle ne s'attarde pas sur la rusticité des lieux, elle a connu bien pire et bien moins confortable. A dire vrai, même les pavés auraient fait l'affaire pour peu qu'elle ait juste un toit sur la tête. Elle laisse tomber ses effets dans un coin et sa cape au sol, avant de défaire les sangles de son armure qu'elle laisse tomber à terre dans un bruit métallique avant de se diriger vers le tonneau d'eau dans lequel elle va plonger la tête. Joignant l'utile à l'agréable en buvant tout son soul avant de se frotter le visage en émergeant dégoulinante.
"Ah, tu veux me donner un coup de main ? J'ai faim."
A l'instar d'un prédateur avide, la chasseresse observe le bout de viande sans un mot, les yeux brillants. Cela fera parfaitement l'affaire. Un rat avec une pique passée à travers le cul aurait fait l'affaire tant son estomac lui hurle famine et réclame que l'on pourvoie à sa subsistance. Elle aurait pu manger la carne sans attendre, sans la cuire, pourquoi attendre après tout. Cependant, elle n'interrompt pas cette jeune fille étrange qui semble bien décidée à allumer un feu. Sa mâchoire se desserre légèrement, de quoi laisser passer quelques mots, vaguement marmonnés.
"Ça fera l'affaire."
Alors elle vient s'asseoir près du feu, sans attendre d'avantage. Légèrement avachie, les coudes posés sur ses jambes, la silhouette tordue. Elle se détend, calmement, les yeux rivés sur le brasier et plus particulièrement sur la viande qui attend d'être posée sur la pierre chauffée. Elle relève ensuite la tête vers son interlocutrice et la fixe en silence, détaillant ses traits et sa tenue, elle s'arrête vaguement sur sa broche de l'académie.
"Pas banale ? Tu veux qu'on élabore sur ta face ?"
Un vague soupir lui échappe alors qu'elle se redresse en étirant son dos, les mains plaquées sur ses genoux.
"Je chasse des monstres, des abominations, des horreurs. Je chasse les abysses. Un lapin corrompu peut très bien endommager une armure."
Poursuivant sa séance d'étirements en faisant pivoter ses épaules, la guerrière hoche vaguement la tête à la question de son vis-à-vis. Parce qu'au final, c'était eux, les gens les moins banals qui d'une certaines manière s'en était sortis. Les autres, tout n'était que chance ou concours de circonstances. Il faut voir la réalité pour l'affronter pour la faire changer. Quand on se cache, on ne sert à rien, on est qu'un poids, une bouche de plus à nourrir. Et si cette petite n'a pas l'air d'être le tonneau le plus rond de la cave, la guerrière sent quelque chose d'une certaine manière. En espérant que ce soit pas juste à cause de cette connerie de couleur de cheveux.
"Ecoutes bien, avec ta grosse tête. C'est pas tellement une question de pouvoir demander. Tout le monde peut demander. Libre à moi de répondre ou pas."
Elle pose ses coudes sur ses genoux et vient enfoncer son menton dans une de ses paumes ouvertes pour faire face à la marée de petites questions qui venait de déferler sur elle. Pire qu'un sale gosse pendant son premier jour d'école. En chemin pour devenir un Edgard je sais tout. Alors elle laisse l'autre terminer, elle laisse passer un silence qu'elle ponctue d'un soupir tout en refoulant l'envie de lui répondre que non, elle était tombé du haut d'une falaise et qu'en s'écrasant sur le chemin, son armure avait pris un sacré choc.
"Pour de vrai. Tout ce qui à rapport avec les abysses. Lapins, humains, oiseaux... C'est dur seulement si tu penses que ça l'est."
Mais une fois que l'on a accepté d'embrasser tout ce qui découle d'une telle activité, on se sent bien plus léger, bien plus capable.
"J'évite de travailler avec l'armée. Parce que j'ai vu, j'ai participé à leurs démonstrations d'incompétence."
La dernière chose qu'elle a chassé. Elle repense au dragon, à l'oeuf qui dort au chaud dans son sac, à cet afflux d'énergie et au sort qui s'est inscrit dans son grimoire sans même qu'elle n'ait eu à le toucher.
"J'ai chassé un très gros lézard. Avec des ailes."
La chasseresse hausse à son tour un sourcil en observant l'autre tenir sa caboche entre ses mains, comme si sa réflexion avait été prise au sérieux. Elle repose ensuite ses yeux sur la barbaque qui prend un peu trop de temps à cuire à son goût. De longues minutes qui la font presque regretter de ne pas avoir pu matérialiser une rune élémentaire lors de sa révélation. Presque car elle est bien consciente que la magie qu'elle invoque dispose d'un potentiel quasiment sans limite pour peu qu'elle soit assez créative dans l'utilisation qu'elle en fait.
L'odeur qui monte à ses narines la pousse à venir essuyer d'un revers de la main, le début d'un filet de bave qui se fraie un chemin entre ses lippes alors qu'elle s'imagine déjà en train de déchirer la viande avant de l'engloutir pour de bon. Les phrases qui suivent cependant font naître sur son visage une grimace désagréable et son nez se plisse alors que des réminiscences de massacres viennent vagabonder dans son esprit.
"Ils se sont peut-être engaillardis un peu avec le temps. Mais on est bien loin de ce qu'on peut attendre d'une armée digne de ce nom. Ne t'attends pas à un avis objectif de ma part, je nourris trop de rancœur à leur égard pour ça."
La débandade, des soldats qui se disperses comme des fourmis après que leur maison ait été piétinées. Des capitaines et des commandants incapable de maintenir l'ordre ou de prendre la moindre décision. Un sens du sacrifice inexistant face à une situation désespérée. Pendant qu'eux fuyaient, elle avait du regarder les corps déchiquetés des siens, des créatures affreuses festoyer, avalant leurs entrailles alors que leurs tête ballotaient, rendant plus terrible encore les expressions horrifiées imprimées sur leurs visages. Elle avait du regarder le domaine familial tomber en ruine sous les assauts. Elle avait du regarder alors que personne ne venait à leur secours. Et aujourd'hui, elle devait les regarder se pavaner avec fierté sans aucune considération pour ceux qui les avaient attendu.
"Je me suis débrouillée seule pour apprendre. Au vu de leur nombre, ils n'ont qu'à se bouger un peu plus le cul et ça ira bien. Ils n'ont pas besoin de moi. Et je n'ai pas besoin d'eux."
Crispée, la guerrière prend une inspiration, elle n'a aucune raison de se mettre en colère ici et surtout, cette petite n'a pas à la subir. Elle ferme les yeux une seconde, puis deux, puis trois. Avant de les rouvrir pour jeter à la gamine un regard dubitatif.
"Un aigle en or ? Une statue ?"
Un aigle en or. Morwën a beau se remuer les méninges, elle n'a jamais vu ni entendu parler d'une telle créature. Peut-être de quelque chose qui pourrait y ressembler comme un oiseau de feu ou quelque chose du même acabit, mais là encore on est tout de même loin d'un rapace doré.
Elle souffle par le nez, abandonnant sa perplexité pour un air des plus sérieux.
"Je ne parle pas d'un lézard que tu peux planter au bout d'un bâton pour le manger. Mais d'une créature capable de balayer des troncs d'un battement d'aile et de faire trembler le sol par ses hurlement. Une créature si corrompue que les abysses semblaient suinter de chacun de ses pores. Si forte qu'un coup de patte aurait concassé mon armure et brisé mon corps. Heureusement, je n'était pas seule. Sinon je serais morte."
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