La toiture abîmée, des rats parmi les habitants et les dames qui courent partout pour tenter tant bien que mal de gérer le nombre indécent d'enfants abandonnés dans ce même endroit miteux.
Au milieu de toute cette scène, il était là, jouant avec les bambins, avec son armure de chevalier.
Parmi la foule de bambins, l'un d'eux s'était emparé du casque de Viktor et courait partout, le visage couvert et la vision obstruée par cet amas de métal bien trop grand pour lui.
Il sautait partout en hurlant :
"C'est moi ! Super Viktor !"
Derrière, le capitaine d'armée tentait tant bien que mal de casser la distance qui le séparait de la petite pile électrique ambulante. Même si la panique s'était emparée de son visage, il était heureux.
Occire des créatures abyssales était une routine, mais gérer des enfants était un poids bien plus important visiblement.
Il aurait pu venir en tenue de civil, mais il était important pour lui d'être une image de confiance et de respect pour les petits de cet orphelinat. Il devait être une preuve d'espoir, capable de démontrer que l'on peut s'en sortir, peu importe notre origine.
Au bout du compte, peu importe l'apparat, il était l'un d'eux. Il était comme un grand frère pour tous ces petits.
C'était une façon pour lui d'échapper au quotidien stressant de l'armée et à ses manigances envers la noblesse.
Son havre de paix à lui, c'était cet orphelinat miteux et il y tenait plus que tout.
Il n'y tolérait l'intervention de personne d'extérieur à cet univers populaire.
Aucun noble n'avait le droit d'y mettre les pieds s'il était là et il avait pris pour habitude les chasser, étant accoutumé à leurs mauvaises intentions.
Apprêtée pour l’occasion, Ceres a délaissé ses jupes pour quelque chose de plus confortable et, surtout, de plus modeste pour visiter un endroit que l’or peine à atteindre. Ce serait une insulte envers ces pauvres gens que d’étaler sa propre richesse devant eux, lorsqu’ils éprouvent de grande difficulté à se nourrir.
Ainsi, ce n’est pas l’héritière des Tillinghast qui se présente aux portes de l’orphelinat, mais la simple bibliothécaire, un érudit charitable. Loin d’être une première visite, il est alors évident que sa présence attire les jeunes pousses – pas tous, cependant, car une autre figure impressionnante les occupe.
Le regard de la jeune femme est aussitôt attiré par cette autre personne. Un enfant dans les bras, Ceres s’avance un peu pour contempler davantage cette autre âme charitable sous un oeil curieux. Elle observe en premier lieu une longue chevelure à la teinte singulière, avant de pouvoir admirer des traits fins qui, de son avis, ne sied pas à l’armure imposante qu’il porte.
La curiosité marque le visage doux de la jeune femme qui, malgré son attention aux détails, ne peut cacher son ascendance noble. Sa façon de se tenir, droite et élégante, ses mouvements, maîtrisés et grâcieux, sa locution, claire et polie. Sans compter sa tenue au premier abord modeste mais qui en réalité est faite de tissu luxueux que l’on ne trouve que parmi les plus riches de Havrecoeur.
Dans la joie et la bonne humeur
Alors qu'il jouait avec les enfants il s'arrêta subitement, posant le bambin qu'il tenait après avoir récupéré son casque.
Son regard si enfantin et bienveillant perdit subitement toute sa pureté.
Il fixa Ceres droit dans les yeux, avec une telle méfiance qu'elle pouvait être palpable.
Alors qu'il reprenait toute sa stature il prit le temps de toiser la noble venant jouer les bonnes âmes dans les bas-fonds.
"Et en espérant que ce soit la dernière. Si vous venez pour racheter cette bâtisse miteuse sachez qu'elle n'est pas à vendre."
C'est alors plein de dédain qu'il lui tourna le dos après avoir adressé un ultime crachat de venin. Il était anormale de voir une tête pourtant si angélique, se crisper autant de fureur. L'incompatibilité semblait presque physiologique mais pourtant c'était bien le peu d'estime qu'il adressait à la noble pourtant si innocente.
"La prochaine fois que vous souhaitez imiter les gens du quartier vous aurez l'intelligence de vous rappeler qu'il leur faudrait l'équivalent d'une décennie d'humble labeur pour mettre la main sur une tenue aussi humble que la votre."
Il dissimula une quinte de toux un peu violente, voulant rester de marbre dans son rôle de protecteur pour les enfants.
C'est suite à sa longue tirade que l'un des enfants le rappela à la raison d'une simple série de petit coup contre la jambe.
"T'es pas Viktor ! Viktor il est pas méchant comme ça ! Elle est gentille d'abord et puis elle vient nous voir quand elle peut ! Mpfh, tiens d'abord !"
Ces simples petits coups eurent pour effet de ramener à la raison le chevalier et de lui faire remettre en question toute son interaction ce qui se résuma par un air perdu et un visage se décrispant naturellement alors qu'il portait un dernier regard à Ceres.
La vue de ces enfants jouant avec cet homme avait suffi à faire baisser ses barrières. Si aisément, lui souffle une voix sournoise alors que Ceres observe le changement radical dans son attitude. Offusquée par tant d’hostilité à son égard, ses sourcils se froncèrent délicatement comme unique preuve de son ressentiment.
Elle laisse l’enfant dans ses bras glisser doucement pour rejoindre le sol et, par la suite, rejoindre ses amis. Ses mouvements désormais libres, Ceres s’avance encore d’un pas pour poser une main douce sur le haut du crâne de l’enfant ayant pris sa défense. Aussitôt son attention accaparée, elle lui adresse un sourire bienveillant et reconnaissant.
Récoltant un sourire timide en réponse à sa douce remontrance, Ceres lui ébouriffe affectueusement les cheveux avant de se redresser pour faire pleinement face à l’adulte récalcitrant. Une autre personne à qui faire la morale, semble-t-il. Alors, la jeune femme croise les bras contre sa poitrine et relève simplement un sourcil tandis que son regard perce l’armure pour percuter directement l’esprit.
Ceres n’est pas sincèrement contrariée par son comportement, ni ses mots durs. Quelque part, elle le comprend, ce qu’il veut protéger et ce qu’il voit en elle. En revanche, ce qu’elle n’apprécie guère, c’est cette facilité à juger la première chose aperçue et son manque de discernement. Le plus ironique, dans toute cette histoire, est que Ceres est certainement bien plus méfiante que cet homme.
Sa tête s’incline légèrement sur le côté et ses lippes s’étirèrent en un fin sourire – rien de méprisant venant gâcher la délicatesse de ses traits, simplement un avertissement si jamais il lui venait l’idée de poursuivre sur cette lancée. Au contraire, Ceres lui donne l’opportunité de dépasser ce malentendu et, potentiellement, d’ouvrir les yeux. Autrement, elle choisirait de l’ignorer et d’oublier son existence.
Dans la joie et la bonne humeur
D'un simple geste sympathique, le chevalier redirigea l'enfant, lui indiquant de jouer avec ses compères.
Cette intéraction marquait pour lui un instant suffisant pour remettre en question ses actions.
Alors qu'il posa de nouveau les yeux sur Ceres il soupira un court instant avant de lui tendre la main.
Ne poussez pas votre chance trop loin, cependant je considère que si les enfants vous font confiance vous méritez le bénéfice du doute.
Il doit bien exister au moins un noble qui n'est pas corrompu jusqu'à la moelle ici-bas.
Viktor Vaughn, gardien de cet endroit et aussi, potentiellement, de cette cité au sens plus général il faut croire.
Qu'est-ce qui vous emmène ici ?
Son regard est désormais neutre, loin de la froideur précédente. Cependant il ne peut s'empêcher de garder une pointe de méfiance. Surement dû à son passif d'enfant des rues. Néanmoins il reste intrigué par cet air solaire que semble dégager Ceres.
Le capitaine retira son avant-bras en appuie sur le manche de sa lame pour finalement tendre sa main vers son interlocutrice.
Même si ce dernier ne s'incline pas, il n'empêche qu'il s'agit là d'une tentative d'accueil comme une autre...
Ceres considère un court instant la main tendue dans sa direction avant d’accepter sa reddition, signant le traité de paix entre eux par une poignée de main amical – tout du moins, non-hostile. Il lui soutire l’esquisse d’un sourire et elle répond d’abord à ses mots par une petite révérence, comme si elle se présentait à lui comme cette fameuse « noble qui n’est pas pourrie jusqu’à la moelle ».
Malheureusement, elle ne peut le contredire sur cette triste pensée puisqu’elle côtoie régulièrement ces gens de la haute et peut voir de ses propres yeux la corruption dans leurs âmes. Elle s’éclipse bien souvent à leur attention par pur dégoût envers leur manque d’humanité - ainsi, elle ne peut que le comprendre, bien qu’elle n’en dise probablement rien.
Un petit sourire danse sur le coin de la courbe de ses lèvres, légèrement amusée par le revirement de situation et le changement de comportement envers sa personne. Elle omet volontairement le nom de sa dynastie, comme pour lui prouver que ça n’a aucune importance à ses yeux et qu’elle n’a aucunement la prétention de penser qu’il lui faille savoir qui elle est précisément.
En revanche, sa brève présentation l’intrigue plus qu’elle ne l’aurait pensé. Que peut-il bien dire par là, gardien de la cité ? La question lui taraude l’esprit mais, par courtoisie, elle se retient de la formuler à voix haute. Pour l’instant. Il est encore bien trop tendu pour qu’elle ose le brusquer à nouveau.
Elle incline doucement la tête sur le côté en le considérant d’une œillade différente. Ses propos sont aussi véridiques pour lui qu’ils le sont pour elle. Ceres ne vient pas occuper l’espace de l’orphelinat avec de mauvaises intentions, uniquement de l’amour débordant de son cœur qu’elle compte bien offrir à ces pauvres jeunes âmes. Et plus encore, si cela lui est permis.
Dans la joie et la bonne humeur
Son visage se détendit lentement pour former un air doux qui semblait bien plus cohérent avec ce que l'on pouvait attendre d'une première rencontre avec le capitaine.
En effet. Il s'agit de ma famille même si nous ne partageons pas le même sang pour la plupart.
Je viens de cet orphelinat alors je ne fais que rendre ce que je leur dois en tant que grand frère. Dans un sens on peut dire qu'ils sont toute ma vie.
Quant à vous, qu'entendez-vous par des raisons similaires ?
Viktor détourna brièvement le regard de son interlocutrice, déposant son casque non loin de l'entrée, comme si ce dernier semblait trop lourd pour son bras.
De son autre main il fit doucement passer ses cheveux derrière son oreille avant de tirer sa cape pour dissimuler son autre bras visiblement tétaniser par l'effort qu'il venait de fournir.
Alors qu'il semblait souffrir, il faisait tout son possible pour rendre ça transparent.
Je vous en prie, allons nous asseoir à l'intérieur, ne restons pas éternellement à l'entrée. Une personne de votre stature mérite au moins un siège. Laissa-t-il échapper avec un ricanement qui transforma le tout plus comme une simple blague qu'un pique à l'envers de la noble.
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