Connais toi toi-même.
Facile.
Daeyrin Teivel est un spécimen unique, quoi qu’en pensent les quelques quidams qui la côtoie, étudié et analysé depuis vingt huit années tant en terrain connu qu’en milieu hostile.
Bien que son éducation (autant que la société) la rende caméléon, elle est une créature solitaire qui préférera à la présence de ses congénères, grossiers et insipides, sa propre compagnie. Douée d’un bon sens oratoire, elle saura s’adapter aux diverses conversations qu’on pourra lui imposer, voyant parfois dans ces échanges l’occasion d’étudier le genre humain. D’un naturel aussi curieux qu’audacieux, elle n’hésitera pas à étancher sa soif de savoir, jouant des règles comme des apparences pour parvenir à ses fins.
Indépendante, un brin égoïste et particulièrement déterminée, elle dispose de l’avidité ainsi que de la patience propre des grands prédateurs. Ainsi, et contrairement à nombre de ses pairs, il s’agit d’un individu autonome et indépendant qui saura combiner stratégie et ingéniosité pour survivre en milieu hostile. Son esprit vif et minutieux aime à être stimulé de jeux et d’énigmes, parfois grandeur nature. Astucieux, il prendra plaisir à se pencher sur divers mécanismes complexes pour proposer des solutions innovantes. Son corps quand a lui montrera la force et la dextérité nécessaires pour expérimenter chacune des ces solutions. En ce qui concerne ses émotions, la rancoeur et l’amertume ont cette dernière année remplacée la dévotion éprouvée, et la désillusion la rend plus déterminée encore à tirer son épingle du jeu.
Observer, analyser, adapter, tirer. Dans cet ordre.
Patience et considérations sont deux aspects essentiels à une bonne chasse, par extension, à la moindre prise de décision. Tout vient à point à qui sait attendre, comme dirait l’autre. Tout vient à temps à qui sait quand prendre rétorquerait-elle.
Dans un premier lieu, obtenir l’information. L’intégrer dans un contexte, considérer l’environnement pour tirer des conclusions pertinentes, puis agir prestement. Agir peut signifier attendre, courir, frapper, tirer, se détourner parfois. Exploiter la moindre faille, adapter sa stratégie à chaque instant, improviser.
Frapper vite et bien.
S’économiser est certainement le maître mot de tout bon survivant. Frapper grossièrement dans le tas, c’est une stratégie efficace pour les brutes épaisses qui ont l’avantage de la proximité. Les autres doivent être plus adextre. Une flèche qui frappe en plein coeur, précise et mortelle, aura plus d’impact qu’un croche patte sur une racine. Une verbe bien sentie fera plus de dégâts que de piètres diatribes métaphoriques.
Il faut être bon joueur pour être bon tricheur.
S’il s’y prend bien, celui qui connaît les règles peut avoir plus de pouvoir que celui qui les dicte.
Loi, coutume ou habitude, chacun respecte une série de principes qui guideront ses actes et prises de décisions. Une fois le cadre posé, il est facile de deviner le déroulé de la scène. Aisé alors d’appliquer le premier précepte susmentionné : s’adapter.
Fais profil bas et le monde t’ouvrira les bras
L’être humain est une créature aussi suffisante qu’indolente. Flattée de peu, bernée d’un rien, elle se fait abuser d’apparences trompeuses et propos attendus. Connais les règles, répond aux attentes, obtiens la confiance, alors tu obtiendras la liberté tant recherchée.
Le client est roi, du moment qu’il a de quoi payer.
Répondre au problème pour satisfaire le besoin. Travailler sur des solutions innovantes, faites de mécanismes, d’engrenages et de cristaux de mana, parfois d'un peu d'alchimie, puis expérimenter chaque arme et outil pour s’assurer de leur performance en conditions réelles. Maîtriser le processus du début à la fin et connaître son produit sur le bout des doigts pour le vendre au meilleur prix. Voilà ce qu’elle fait.
Teivel est un matronyme dont la sonorité est devenue familière ces quelques trente dernières années au sein des remparts de Havrecoeur.
En premier lieu, ce fût une femme qui esquissa le récent blason de cette maison controversée. Dessiné d’une peinture écarlate dans la neige mordante d’un hiver trop rude, il jailli du sang de gibier trop longtemps désiré. D’abord longuement traqué, il fût astucieusement piégé, finalement tué, et ainsi Skadi Teivel, ingénieuse chasseuse, commença à écrire sa légende.
Quelques années plus tard se distingua Harrold Teivel, époux de Skadi Teivel. A cet écusson sanglant il greffa des notes manuscrites. Préférant l’ébène au carmin pour son art, il composa une histoire qui est désormais retranscrite dans nombre de vos ouvrages. Technomage d’abord, chercheur ensuite, il fût reconnu pour divers papiers novateurs qui lui ouvrirent les portes dorées de plus hauts projets.
Ensuite se fit connaître Alastair Teivel, aîné de la fratrie et enfant prodige. Celui-ci s’illustra tant lors de son rituel de révélation que durant son service militaire. Mage de talent et escrimeur dévoué, il rejoignit rapidement les rangs de sa Majesté où il brilla en quelques saisons, achevant de gonfler la fierté d’une famille aussi patriote qu’admirative. Douze années plus tard, il resplendit d’actes de bravoure, en rien entaché par le récent scandale paternel.
Aussi, il semble compréhensible qu’en comparaison, le nom de Daeryn Teivel ne vous évoque que peu d’éclats.
Puînée de la famille, cadette de sept ans de Alastair, elle affiche les qualités et les défauts de chacun de ses deux parents. Habile, astucieuse et perfectionniste, elle tend à être à la fois excellente chasseuse et technomage. Pourtant elle restera à jamais fille de, soeur de, dissimulée dans l’ombre opaque de trois illustres figures, héritière insuffisante de leurs prouesses comme de leurs échecs.
Il fut un temps pourtant où elle chercha à s’illustrer. Enfant passionnée, curieuse de tout, elle a vite collé aux bottes de chacun de ses parents, apprenant d’eux patience, précision, alchimie et technomagie, fière et dévouée héritière de leurs arts respectifs. Précoce au rituel de révélation, elle aurait put être reconnue comme élément prometteur si son frère n’avait pas déjà marché sur cette voie, traçant d’ailleurs une piste si affirmée qu’elle en parut bien insipide en comparaison. Le temps alors doucement esquinta ses espoirs, armé de regard insatisfaits et déceptions tûes.
Le jugement des ses instructeurs et académiciens l’occupait peu, bien qu’il fut toujours agaçant d’être piquée de la sorte, sans cesse mesurée à Alastair, sans cesse insuffisante, elle savait passer outre. Celui de ses géniteurs néanmoins l’éroda lentement chaque jour davantage.
Skadi et Harrold furent toujours contents d’elle, enfant modèle intuitive et dégourdie destinée à être une prometteuse successeur, pourtant ils ne furent jamais réellement satisfaits. La dévotion portée à la famille n’a aucune valeur sans foi pour sa patrie, et dans ce domaine Alastair scintille comme astre dans la nuit.
Loin de partager ces valeurs, elle ne s’y résolu jamais. D’abord agacée, lentement amère, elle abhorra finalement cette consacration soumise à la cité lorsque son père se fit incarcérer.
Il n’y eut aucune solide explication, aucun digne procès, seulement le fait brut d’une arrestation soudaine, et l’accusation invraisemblable de trahison. Daeryn seule semble nourrir pléthore de soupçons, et ce constat constitue à alimenter sa colère. Sa génitrice pour sa part ne voit le mal nul part. Pire, elle remet désormais en question l’intégrité de son mari devenu ennemi de la couronne. Son frère aîné qui aurait pu avoir l’autorité d’agir est resté muet, indifférent, achevant ainsi d’éclater l’ire de sa cadette qui a fini par couper les ponts.
Ce n’était pourtant pas faute de l’avoir soupçonné. De nombreuses sorties nocturnes (jamais notées par sa famille, elle a toujours pris soin de rester enfant modèle à leurs yeux) et pérégrinations dans les faubourgs d’Havrecoeur lui avaient plus d’une fois offert le spectacle désolant de l’injustice sociale, d’autorités bien puissantes aveugles ou instigatrices d’ignominies. Elle l’avait vu, vomi d’écoeurement à son plus jeune âge, elle savait, mais persuadée d’en être prémunie n’avait pas tout à fait vu le danger venir.
Désormais isolée de sa famille, elle ronge sa colère, ce traitement injuste finalement reçu toute sa vie, comme un vieux chien affamé accroché à son os. Son établissement est respectable et offre à qui y met l’argent diverses améliorations d’armes pour chasses et expéditions, mais au couvert de la nuit, protégé de lois qu’elle a appris à connaître, se jouent de tout autres jeux.
Plus rien à foutre de la châtellerie, du moment qu’elle peut faire son beurre.