Une rue immonde, où les rats ont érigés leur domaine sur les tripes anciennement éparpillés des ingénus qui avaient le malheur de passer par là en se croyant bien trop chanceux.
C'est ici que Viktor attendait, enroulé dans une immense cape noir ébène qui venait a étouffer sa chevelure blanche. Elle se mariait à merveille avec la malédiction qui l’habite si ce dernier la laissait aux yeux de tous.
L'air fantomatique, il patientait, jouant inlassablement avec une pièce.
Bien que cette vision de lui-même le rendait nerveux, elle était peut-être la plus honnête et la plus proche de ce que les Dieux pouvaient penser à son égard.
Différentes billes de métal étaient éparpillées ici et là dans la fine ruelle en guise de garantie.
Cela faisait plusieurs mois qu'il courait derrière cet être.
Intrigué, il voulait mettre la main dessus. C'était presque une forme de caprice. Un jouet de plus pour parvenir à ses fins.
Il fallait au capitaine poser les bases d'une future élite des bas-fonds. Une meute de chien fou pour défier la royauté et gagner l’opinion publique qui habite les ruelles sombres et les égouts.
C'était son moyen de se rapprocher de la pègre pour tenter d'unifier ce monde complètement dément.
Un pas de plus vers son royaume rêvé.
Quoi de mieux pour démarrer cette troupe que de recruter quelqu'un qui, même s'il ne s'en doutait pas encore, avait une infinité de points communs avec lui.
Un être tordu jouant un double rôle mais qui à l'inverse du capitaine avait la bonté d'esprit de s'assumer dans sa noirceur une fois en solitaire face au miroir.
Alors il l'attendait là, adossé à un mur, attendant que son piège se referme lentement sur l'assassin.
Il était plutôt sûr qu'il viendrait, rien n'était laissé aux hasards. Plusieurs semaines de préparation les avaient menés à cette rencontre.
Finalement ne serait-ce pas un meilleur choix pour l'assassin d’échanger avec un énième détraqué de la Basse-Ville plutôt qu’avec des miliciens qui n'attendent que de voir sa tête tomber ?
L'air ennuyé de Viktor fut bien vite balayé.
Alors qu'il ne pu rattraper la pièce et qu'une lame venait de se glisser contre sa gorge il ne pouvait s'empêcher de sourire.
Eh bien... Du calme joli cœur. Je comprends mieux pourquoi ils ne t'ont pas encore attrapé... Tu te doutes bien que si je me suis présenté en gibier à l'un des assassins les plus dangereux du royaume c'est pour quelque chose qui en vaille la peine...
C'était une situation des plus stressante. Si Viktor n'avait pas cette folie des grandeurs il serait déjà pris de tétanie. Il n'empêche que la valeur de la vie lui était relative grâce aux objectifs démesurés qui l'habitait. Alors d'un simple ricanement il fixa l'assassin droit dans les yeux.
Tu n'es pas curieux de savoir comment un quidam a pu t'emmener ici et pourquoi étonnamment aucun membre de la milice ne traîne dans le coin ?
Le capitaine appuya légèrement sa gorge contre la lame, laissant son sang noircie par la malédiction couler lentement le long de Khaltya. D'un simple regard vers le bas il s'assura s'être aventuré assez loin contre le fer pour laisser couler son sang sans franchir le point de non-retour qui lui coûterait potentiellement la vie.
Viktor se sentait pousser des ailes. Enfin un pari mortel qui en vaille le coup. Peut-être avait-il plus en commun avec Azryël que l'assassin ne pouvait le penser ?
Alors que son sang noir venait de finir son chemin sur l'arme de prédilection de l'homme, le regard de Viktor ne dévia pas, bien au contraire. Ces yeux d'habitude si pures étaient complétement alimentés par une étincelle de folie et d'excitation.
C'est ce qu'il me faut. J'en ai besoin ! Ne pouvait-il s'empêcher de penser en boucle et de façon frénétique.
Être aux portes de la mort n'avait jamais été aussi vivifiant qu'aujourd'hui. L'adrénaline mêlé à l'euphorie lui permettait de délier sa langue et de ne pas trembler au contact de cette lame.
Il avait le regard fou. Ces yeux brillant qui pouvait indiquer autant à son interlocuteur de l'écouter attentivement que de fuir dans l'immédiat tant il semblait aléatoire et instinctif dans son allure.
Alors c'est ça qui te fait frissonner le soir seul dans ton lit ? C'est d'égorger des éphèbes de mon acabit ? Laissa-t-il échapper avec un ton rivalisant à celui de son opposant en terme de sarcasme.
Il ne perdit cependant pas le sens du temps, la lame étant là pour lui rappeler.
Si je suis venu ici c'est pour prouver à la couronne qu'elle se fourvoie. Je veux leur montrer ce que le bas-monde garde sous sa manche. Il me faut des hommes capable de changer le cours d'Havrecoeur avec un tant soit peu de détermination à vivre. S'il ne me fallait qu'un chien d'attaque j'aurais déjà utilisé l'or plutôt que d'exposer directement mon cou à un égocentrique des bas-fonds comme moi.
reprit-il.
La milice peut sembler aussi stupide que tu le penses, viendra forcément un jour ou les mauvaises nouvelles toqueront au foyer et qui sait, peut-être que m'égorger ici accélérera le calendrier ? Pouffa-t-il encore une fois.
Viktor avait les yeux plongé dans ceux du vampire excentrique.
Il prit cependant un ton bien plus sérieux et solennel, laissant visiblement son destin se jouer sur cette unique question :
Ma question est simple, est-ce que tu souhaites continuer de gâcher ton talent à jongler pour ta survie ou t'en aurais pas enfin marre d'être regardé de haut comme nous tous ? Rêver de grandeur c'est une chose qui revient de droit à une personne de ton acabit. C'est ça que je viens t'offrir aujourd'hui.
Le capitaine ne se débinait pas. C'est en faisant lentement glisser ses yeux vers le bas qu'il proposa à Azryël de laisser un peu de leste sur cette fichu lame pour en venir à des pratiques plus convenables socialement.
Après tout, s'il était imberbe c'était pour ne pas avoir à passer sous le fil de la lame pour si peu !
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