Peut-être faites vous partie de ceux là, Ephania. Ces gens humbles et simples, pour qui la satisfaction n'est pas une montagne à gravir mais un paysage à admirer, qui savent se contenter de peu, et embrasser la modestie autrement que sous la contrainte. Si tel est le cas, sûrement êtes-vous bénie, et avez compris depuis longtemps que l'instinct est un allié plus fiable que la réflexion. Que le cœur est moins changeant que le cerveau. Dans cette époque où tous privilégient la fomentation huilée et les plans complexes, nous sommes devenus sourds aux résolutions simples et intuitives.
Le sel de la vie ne réside pas en notre capacité à en prévoir la suite.
Seule, vous arpentez le sol meuble du village, votre esprit en proie à quelques envolées philosophiques, plus que de raison. Un sentiment étrange bat dans vos tempes au même rythme que votre coeur. Vous sentez que tout n'est pas tout à fait à sa place. En même temps, un sentiment d'euphorie accélère votre souffle, vos muscles vous paraissent excessivement légers, et vous êtes secouée par cette sensation de liberté absolue. Ce même sentiment que l'on ressent lors d'une fulgurance de joie, où l'on se surprend à sourire sans raison apparente.
Le temps de pleinement prendre conscience de cet état nouveau, vos pas vous dirigent vers la forêt avoisinante. A peine le premier arbre effleuré que votre sensation jusqu'à lors vague se change en certitude absolue.
Quelque chose cloche. Et en dépit de votre état, vous ne pouvez vous empêcher de sentir une pointe de stress lacérer votre cœur paisible.
Du sang, sur le sol. Des petites gouttelettes rassemblées en flaques. Votre œil expert inspecte rapidement la scène, et alors vous comprenez.
Un animal, blessé, qui s'enfuit à grandes enjambées vers les profondeurs de la forêt. Des marques de sabots s'enfoncent profondément dans la terre, à chaque pas un peu plus. La pauvre bête est en danger.
Vous remontez vaguement la piste, jusqu'à apercevoir entre quelques arbres un espace épargné, où un cerf est allongé sur le flanc, une flèche plantée dans sa chair. L'animal a cessé de courir et s'agite péniblement en tâchant de résister à la douleur. A ses côtés, un homme couvert d'une cape recouvrant toute sa silhouette, penché sur l'abdomen blessé du cervidé. Un couteau est posé à côté de lui; sûrement le chasseur.
L'homme se penche derechef sur le cerf, vous offrant son dos. Vous êtes derrière lui, à une demie dizaine de mètres. Vous craignez qu'il ne l'achève.
Ephania se retourna plusieurs fois sur son matelas de paille puis s’étira paresseusement avant d'ouvrir la porte brinquebalante de sa cabane. Son sommeil avait été profond et réparateur et, telle une plante printanière s’éveillant de sa dormance hivernale, elle se tourna vers l’astre dont on devinait les rayons naissants pour se ressourcer.
Dans chaque aube naît un jour nouveau rempli d’espoir, de drames et de mille choses du quotidien vite oubliées.
Cette fulgurance philosophique ne lui ressemblait pas, surtout de si bon matin. Le buisson de menthe planté près de sa masure exhalait un parfum frais et piquant devait en être la cause : ses vertus étaient d’alléger les migraines et d’éclaircir l’esprit.
Était-ce le silence dans le village ou son sommeil réparateur qui éveilla l’envie incongrue d’une petite promenade dans la forêt ? Seule et sans défense, elle serait la proie d’une bête sauvage ou pire, d’un monstre venu rôder aux limites de la civilisation. Cette inquiétude s’amplifia quand elle remarqua des traces de sang. Suivant la piste des empreintes elle comprit le déroulé tragique des évènements. Une histoire maintes fois répétée mais dont la fin est presque toujours fatale aux animaux ; un chasseur expérimenté rate rarement sa proie.
Elle trouva rapidement le chasseur et sa proie, guidée par les nombreuses traces au sol et les branches cassées que l'animal avait brisées dans sa fuite. Le chasseur qui s’apprêtait à le mettre à mort semblait d’un calme olympien. Son couteau à côté de lui, sa main ne tremblait pas comme l’aurait fait celle d’un novice. Les bras croisés, le dos appuyé contre le tronc noueux d’un arbre, l’herboriste contemplait la scène sans mot dire.
Tu as connu la jeunesse et l’insouciance du printemps.
Ton front s’est orné de bois majestueux dans la maturité de l’été.
Tu as vaillamment affronté tes adversaires durant les combats d’automne.
Tu as survécu aux frimas de l’hiver, à la faim et à la soif.
Mais il est temps maintenant, c’est fini.
Plus jamais tu ne galoperas dans la forêt, le prédateur a eu raison de toi.
Mais tu n’es pas seul.
Tu as engendré de nombreux faons qui parcourent la sylve.
Et à travers ton sacrifice tu sauveras une myriade créatures.
Ton corps nourrira la harde de cet humain.
Les insectes, les renards et les petits rongeurs délecteront de ce qui restera.
Même tes os seront emportés et dans quelques mois il ne restera rien de toi.
Tu vois, la mort n’est qu’un instant dans le cycle de la vie.
Tu as peur, je le comprends.
Mais lutter ne fera que prolonger la souffrance.
Abandonne et dors en paix, une dernière fois.
Ses pensées étaient dirigées vers le cervidé qui roulait des yeux affolés. Elle ferma ses paupières, se concentrant sur un sentiment d’apaisement et d’abandon. Bien que nécessaire à la survie humaine, cette scène pénible devait se terminer vite et bien. En cet instant cette empathie si utile pour soigner les êtres vivants lui faisait ressentir de la peur et une terrible détresse.
C'est à ce moment que vous comprenez ce qui est réellement à l'œuvre, car le chasseur se penche plus en avant et presse un genre d'onguent sur la plaie sanguinolente de l'animal. La flèche est retirée, et une forte odeur d'herbe parvient jusqu'à vos narines. Un peu affolé, il enlève sa capuche et éponge son front mouillant, une main fouillant dans sa besace dans l'espoir d'y trouver un remède.
Cet homme n'est pas un chasseur; il est en train de sauver le cerf.
L'homme se redresse alors sur un genou, lançant des regards de droite et de gauche sans vous remarquer. Il semble ratisser le sol à la recherche d'une plante permettant au miracle de se produire. Vous voyez ses mains couvertes de sang serrées en un poing, et le stress doucement l'envahir. Il vous apparaît désemparé, incapable de réfléchir convenablement. Ce n'est qu'un jeune homme bien inexpérimenté, encore que ses méthodes vous paraissent curieuses. Où a-t-il appris tout ça, puisqu'il n'est vraisemblablement pas du coin ..?
Toujours spectatrice de la scène, vous êtes face à un nouveau dilemme, maintenant que vous en savez un peu plus.
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Mais ça y est, j'ai choisi une amoureuse de la nature ! J'espère que ce perso colle bien à l'univers.