Un silence absolu. Il n'y a pas âme qui vive dans ces longs couloirs aux murs tapissés, pas un son qui ne vous parvient quand bien même vous tendez l'oreille autant que possible. Vous avancez dans l'inconnu, pressé par le temps et par votre myocarde qui bat à tout rompre. Un intrus peut être tout et n'importe quoi : un voleur, un enfant égaré, ou... un assassin. Vous n'avez pas le temps de lambiner. La vie de Sa Majesté est en jeu.
Mais le plus vous marchez dans ces couloirs infiniment longs, le plus vous commencez à croire que vous n'arriverez pas à temps. La chambre de Sa Majesté est encore loin... Pourtant, elle vous paraissait bien plus proche, il y a déjà dix minutes. Vous vous mettez à courir, dans l'espoir de gagner quelques précieuses secondes.
... Ce tableau, ne l'avez-vous pas déjà passé tout à l'heure ?
À vrai dire, l'atmosphère diffère de ce à quoi vous êtes habitué. Vous semblez perturbé par un... murmure éloigné. Et alors que vous avancez pas à pas, plus prudemment désormais, vous apercevez au loin la porte de la chambre de Sa Majesté.
Sinistres imbéciles. C'était la moindre des qualifications face à cette cohue se prétendant servir dans la garde de sa majesté. L'élite de l'élite ? Courant comme des poules sans têtes ci et là sans la moindre des priorités alors qu'un intrus a réussi l'on ne savait comment à se glisser dans l'enceinte du Castellum ? Vociférer à leur encontre avait suffit à leur faire reprendre un tant sois peu leurs esprits, les dépêchant ci et là afin de débusquer l'individu sur lequel l'on n'avait concrètement aucune information. En d'autres termes, une situation de crise aussi absurde qu'urgente, un véritable code rouge.
Filant à travers les sombres couloirs du centre névralgique de ce qui restait du royaume, Sire Voltsk avait pour sa part une autre tâche que d'aller jouer à l'aveugle à un simili de battue. Dans une situation comme cela, la rapidité était la clé afin d'accomplir son devoir. Le devoir, toujours le devoir, de servir et protéger sa Majesté dont l'intégrité pouvait être menacé à tout moment alors que le voile du mystère et de l'inquiétude enserrait le château.
Une poignée de minutes à grande enjambées, c'est tout ce qu'il faut pour arriver enfin au détour du couloir cible, un temps infime qui pourtant paraît durer des heures, une interminable angoisse étreignant le coeur et l'âme à l'idée de ce qu'il pourrait se produire au moindre écart, au moindre échec. Impensable. Intolérable. Innacceptable. Le chevalier presse la pas. Pas une minute de plus à perdre. Il faut...
Attendez un instant. Quelque chose ne va pas. Quelque chose cloche. Ce n'est là qu'une impression, une lubie de l'instinct, mais certainement pas un mirage de l'âme. Lorsque l'on a passé des décennies dans ces salles, certains détails, certains état de fait devienne des vérités, des us inscrits dans les gênes et la mémoire. Et là, à cet instant précis, quelque chose va de travers. Un murmure ?!
Au loin, la porte de la chambre de sa Majesté, si proche et pourtant si loin... Avançant avec prudence, épée à la main, le vieux dogue jette des regards acérés face à l'étrange, tout en progressant vers la porte. Après tout il connaît l'endroit comme sa poche, jusqu'au moindre détail. Quelque chose clocherait-il que cela sauterait aux yeux maugrée-t-il en son fort intérieur. Puis soudain, la réalisation d'une évidence.
Où diable sont les gardes supposés être en poste devant la Chambre ?!
Où sont les gardes ? D'où provient ce murmure, et comment parvenez vous à l'entendre d'aussi loin ? D'aussi proche... La porte de la chambre de la Reine semble s'éloigner au fur et à mesure que vos pas vous rapprochent pourtant. Vous observez les alentours, tentant de déceler dans votre environnement un quelconque signe indiquant une brèche, une échappatoire dans cet enfer.
Sur votre gauche, est-ce encore une fois ce même tableau ? Qui Diable s'amuse à vous faire tourner en rond ? Vous qui êtes pourtant si proche du but... et si loin à la fois ? Ce couloir n'en finit plus. Ce couloir n'en finira donc jamais ?
Ce couloir... Quel couloir ?
Un pas de plus, et vous voilà face à la porte tant convoitée. Autour de vous, le couloir a disparu. Autour de vous, il n'y a que l'obscurité, le noir le plus complet ; mais il y a cette porte ! Et à vos pieds, les cadavres de deux gardes gisant contre un mur que vous ne parvenez pas à discerner, égorgés par une lame affutée. Des limites, des barrières dans cette sombre immensité, invisibles à l'œil nu. Vous jureriez ne pas avoir vu ces corps inertes un peu plus tôt.
Le silence absolu ; même le bruit de vos pas s'en retrouve étouffé, ingéré par le néant qui vous entoure.
Les yeux se plissent. Maudite peinture, avait-elle toujours été aussi immonde avec ses traits exacerbés et ses teintes plus criantes que les nobles dames aux parures déplacés qui hantaient la cour tel des spectre d'un autre âge, réminiscence d'une gloire et d'un faste depuis longtemps révolu ?
Les sens s'affutent à mesure que l'avancée se fait, aucun son, aucun bruit, pas même l'ombre d'un rat qui émergerait des sursauts d'un tapis. Les nuits sont calmes, si calmes, mais pas à ce point, et certainement pas sous cette lune mensongère au visage trompeur qui se gausse à l'ombre des nuages d'ébènes, savante de mille et un secrets qu'elle contemple cynique et muette.
Les gardes accourent ci et là en quête d'une ombre dont ils ne connaissent rien de plus que les vagues atours, naviguant à l'aveugle dans un océan d'incertitude qui a inondé le château royal. Alors pourquoi diable est-ce si calme ? Maudite peinture, encore là au moindre coup d'oeil, souriant comme au jour de sa création, miroir anonyme de ce qui fut, préservé à jamais dans les pigments et les traits de toutes pièces crées.
Qu'est-ce donc à dire que ceci ? Est-ce un rêve, une farce de mauvais goût ? Ou peut être est-ce la mort qui s'immisce à l'improviste et invite dans ses bras quelqu'un qui n'a que trop servi.
Peut-on envoyer cette répugnante mimique aux flammes, elle et son huile sèche narquoise ? Maudits peintres et leurs engeance. Ont-ils jamais été d'une quelconque utilité sinon flatter des égos mal placés ?
Un pas de plus, mais la montée s'achève, cette vilaine toile semble s'être restreinte dans sa poursuite. La porte de la chambre de sa Majesté est à portée et pas l'ombre d'un factionnaire. Ont-ils désertés ? Ont-ils été appâté. Une mauvaise sensation se fait alors sentir et instinctivement Sire Voltsk tourne son regard d'un maigre angle, deux silhouettes avachis apparaissant dans son champ de vision.
L'air se fait lourd et les traits du chevalier se durcissent alors qu'il resserre la poigne de sa main sur la garde de sa lame. Une brève analyse est à priori sans équivoque, voici donc les factionnaires. L'obscurité ambiante rend la tâche difficile mais des années d'expérience tendent à souffler quelques potentielles vérités.
Mais est-ce là tout ce qu'il convient d'observer ? Certitude est maîtresse de sureté et si le temps est précieux, le moindre détail peut être crucial. Avançant prudemment, le vieux chevalier tiens à s'en assurer. Sont-ils véritablement occis et si la réponse est affirmative, comment diable cela est-il advenu ?
Quoi qu'il en soit, il faudra définitivement revoir les attributions de chacun au petit matin...
...
Vous saute à la gorge. Ou plutôt, la chose qui s'est introduite dans son corps se manifeste ; des yeux noirs, desquels ruisselle une substance rougeâtre. La silhouette de votre défunt collègue s'étire plus que de nature, se relevant d'une étrange façon, tendant les doigts en avant, en direction de votre visage. Vous qui, en temps normal, aurait eu le réflexe de vous débarrasser de cette chose d'un seul coup d'épée, vous retrouvez sans voix, incapable de bouger. Sans voix... Incapable de hurler. Incapable de faire... quoique ce soit.
Ses doigts parviennent jusqu'à votre visage. Votre vision est obscurcie par sa paume qui s'approche à la fois vivement et lentement. Encore une autre étrangeté que vous ne parvenez pas à décrire, même vaguement.
Lorsque sa paume disparaît, vous vous retrouvez dans une pièce minuscule, complètement vide. Celle-ci n'a rien à voir avec le château, pourtant... vous semblez y discerner une ambiance familière. Autour de vous, quatre murs, nulle fenêtre et nulle porte ornent ces derniers. Vous vous retrouvez seul avec vous mêmes, ayant perdu de vue la porte de la chambre de Sa Majesté. Mais qu'en est-il de sa sûreté, garde royal ?
Vous clignez des yeux une fois. Juste assez pour voir apparaître ce fameux tableau qui ne cessait d'attiser votre curiosité quelques minutes auparavant. Une vision qui vous attire, qui vous charme... qui vous ferait presque oublier le souffle chaud dans votre cou.
La peau glaciale et raide ne trompe et proclame l'état de cadavre sans tolérer aucune contradiction, absolue et implacable, tel sont les sinistres attributs et les noirs atours de la Faucheuse qui a pris son dû. Mais l'a-t-elle fait de ses propres mains cadavérique ? Certainement pas. Les mythes ont la dent dure et toujours part de vérité, mais même les légendes ont leurs lois et il y a des limites à l'absurde.
C'est là le destin final du premier de ces jeunes imbéciles trop inexpérimentés et occis de toute évidence par la traitrise et la ruse. Tragique et extrême rappel des conséquences de l'échec dans leur branche d'exercice. Mais est-ce avisé de proférer, voir de songer à de tel choses alors même que le coupable court toujours, qu'il pourrait être à l'affut, tapis dans les ombres attendant son heure.
La vérité n'était pas si loin quelque part au regard de cette... Embuscade ? Oui, c'est là certainement le terme le plus juste. Une embuscade grotesque reposant sur un concours de circonstance et sur l'espoir que des décisions précises soient prises. Un savant calcul en vérité, le parachèvement d'un raisonnement dont la noirceur de l'âme teinté d'une fourberie aux lueurs écarlates. Une vision d'horreur, une monstruosité aux antipodes de ce que l'esprit humain peut tolérer qui n'a pour sa part rien à envier à ces vieux contes de fantômes que l'on dispense afin de dissuader les jeunes âmes de s'éclipser en extérieur à la nuit tombée.
Alors que l'obscurité se rétracte et que la bête dans toute sa laideur semble s'être volatilisée comme par enchantement, les traits ternes de quatre murs clos se distinguent en dépit des ombres. Au fond, bien en évidence et trônant en plein centre comme un monarque surélevée, cette même peinture narquoise si détestable aux traits triomphant qui même silencieux en disaient long.
La chambre de sa majesté est hors de vue. Impensable. Mais est-ce important à cet instant précis ? Non. Quiconque dans une telle situation parmi le commun des mortels, parmi les déchets grouillants à l'ombre des épais remparts offrant la grâce de la protection royale à tous ces ingrats, s'effondrerait tel un château de carte, se maudissant, implorant et via mille et une scène s'écraserait face au mal dans la terreur la plus totale.
Les jeunes roquets de la garde royale aussi en toute honnêteté, la fine fleure de la jeunesse nobiliaire, dissimulée loin des devoirs par leurs sangsue de paternels afin de préserver le sang et la lignée, privilèges d'une ère révolue que l'on aurait dû abolir depuis bien longtemps.
Toutefois, ce n'était pas le cas de la vieille garde. Les vétérans avaient vu bien des choses, vécus bien des choses et d'autant plus ce qui n'étaient pas là uniquement pour le confort mais par le devoir et la tradition. Tout pour la Reine, par la Reine et au nom de la Reine. Une devise qui n'était pas qu'une simple maxime délivrée avec négligence, mais une raison d'être.
La chose qui devait arborer un grand sourire là derrière, soufflant allègrement avec la bave aux lèvres tel l'ordure vivante qu'elle était ne devait en avoir cure.
Attendre n'était pas une option, quelque chose devait tâter de l'acier, c'était là une évidence. Mais était-ce le bon choix de se retourner et de frapper la bête ? Cette horrible peinture vaguement intrigante pourtant était à portée de main sous réserve de faire quelques pas.
Une invitation n'est-ce-pas ? Ma foi, cette farce doit bien se terminer d'une manière ou d'une autre. Et les créatures de mal dans tout leur orgueil ne sont jamais autant frappés à mal que lorsqu'on les ignore allègrement.
Ce tableau est toujours là. Mais à bien y regarder... Les formes sur ce dernier se mettent à changer, à se mouvoir. Comme si l'image sur cette toile était en réalité un fleuve d'informations mouvantes, dont on aurait ralenti la cadence. Lentement, vous percevez des objets, des silhouettes changer, bouger, vriller. Votre esprit vous joue des tours, ou bien est-ce quelqu'un, quelque chose qui s'occupe de vous faire tourner en rond depuis tout ce temps ?
C'est une petite salle. Juste assez grande pour accueillir deux ou trois personnes. Il y fait plus noir que n'importe où ailleurs, pourtant votre regard est attiré par l'œuvre accrochée au mur qui, elle, présente une certaine lueur dans les ténèbres qui vous entourent. Et si vous plissez légèrement les yeux, vous pourrez constater...
Que la toile s'agrandit.
Peu à peu, cette dernière change de taille, prenant de plus en plus de place sur ce mur dénué de fenêtres.
Les bêtes ont bon dos de se présenter sous leurs plus affreuses auspices, les crocs ont beau être longs et acérés, les griffes démesurées et crochues et les teintes difformes et improbables, ils n'en demeurent pas moins que leur égo n'a rien à envier à celui d'un enfant en bas âge auquel l'on aurait volé sa sucette. Caprices et rodomontades sont leur pain quotidien, il ne leur est rien de plus pénible et insupportable qu'une proie qui ne leur accorde l'attention qu'elle recherche, après tout quel plaisir procure la chasse si l'invité d'honneur n'y met pas du sien ? Vexant s'il en est.
Sans doutes est-ce là ce que s'est dis la créature au souffle d'une discrétion digne d'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Partie se terrer dans les ténèbres qu'elle affectionne tant. Ou peut être pas. Qui sait ? Mais est-ce là d'une importance réelle ? Après tout il y a plus intéressent, ou tout du moins quelque chose attirant l'oeil et digne d'un intérêt plus grand qu'accorder le moindre crédit à un être jouant avec sa nourriture, si tant est qu'elle ait les moyens de se servir de ses attributs dégradants dont mère nature a daignée la doter assurément lors d'une nuit d'ivrognerie. Même sans lui adresser un regard, c'est là d'une évidence flagrante.
Quoi qu'il en soit et en dépit des pitreries nocturnes, la peinture narquoise elle semble exister plus que jamais, vivant sa meilleure existence alors que ses traits, dorures et subtilités picturales sont en pleine effervescence. Pour une peinture tout du moins, vue de l'extérieure cela ressemblait plus à une de ses fresques murales ou autres enluminures dont les acteurs évoluaient de gauche à droite de tel manière à conter une scène ou un fait.
Les sois disant aristocrates s'improvisant critiques d'arts auraient beaucoup de choses à dire sur la question, sur les choix de représentations, sur la pertinence de tel degrés de couleur, sur l'insistance d'élément récurrents. En soit, si on ne leur laissait qu'un point noir sur fond blanc ils trouveraient tout de même le moyen de déblatérer sans fin des inepties inventés de toutes pièces afin de se donner un air de sagesse.
Mais que pouvait en dire un des gardes de sa Majesté ? Rien. Ces élucubrations faussement intelligentes n'avaient pas court dans son univers étriqué. Les détails, la pertinence et l'objectif final, c'était tout ce qui importait. Et en l'état, cette satané peinture devait allègrement se fendre la poire à jouer des mains et des pinceaux afin de se grossir plus que de raisons tel une gueule béante en manque de nourriture. Habile ? Non. Grossier. Grotesque. Triste pantalonnade.
Plisser des yeux et contempler cette absurdité béante qu'aurait pu créer même ce fol de Cheo Gorrace, apportera peut-être des réponses au lieu de divagations ? Ou peut-être est-ce juste la vieillesse et tout ce ci n'est qu'un rêve tellement rien n'a de sens.
Premièrement, le tableau est une peinture de la chambre de Sa Majesté.
Deuxièmement, deux silhouettes sont représentées sur cette œuvre. Sa Majesté, à la chevelure immaculée, ainsi qu'une autre...
Et votre mémoire vous rappelle qu'il n'y avait qu'une seule silhouette sur cette toile auparavant. La gorge nouée, vous plissez davantage les yeux et constatez que cette deuxième silhouette n'est autre que l'intrus que vous recherchez depuis tout ce temps. Les formes semblent se mouvoir d'elles-mêmes, ralenties par un temps qui n'est pas le vôtre. Cette silhouette est encapuchonnée et paraît plus menaçante que ce à quoi vous vous attendiez...
...
Est-ce un poignard au creux de sa paume ?
Sa Majesté est allongée, dormant paisiblement sous ses draps de soie.
Le danger est bien présent ; garde royal, allez-vous faillir à votre tâche ? Comptez-vous laisser ce poignard s'abattre froidement sur celle à qui vous avez juré protection éternelle, sans faille ? Le temps vous est compté.
Ce tableau n'en est pas un.
La voilà, votre porte de sortie.
Que le destin peut se révéler curieux, laissant traîner ci et là ses fils mystiques et nébuleux, dans les ténèbres de cet espace détaché de la réalité, les traits de pinceaux s'ils sont aussi irritants que désagréable tant pour l'oeil que l'esprit tendent à rappeler quelque chose à mesure qu'ils se réorganisent dans l'axe de vision. Quelque chose de familier et pourtant d'impossible ? Il ne faut pas longtemps avant que l'horrible réalisation ne se fasse pourtant, l'espace d'un instant afin de finalement constater, qui, quoi, comment ? Les questions pourraient fusaient, se déverser tel un raz de marée et pourtant...
Cela n'a plus, au bas mot, aucune espèce d'importance et s'il est un temps pour s'interroger et questionner le pourquoi du comment plus en profondeur, celui ci n'est guère à l'instant et certainement pas dans quelques heures ni le lendemain ou le sur-lendemain. Le serment commande, le serment exige, le serment EST.
Il existe toute sorte d'être qui réagissent différemment à l'urgence, en fonction de leurs capacités, personnalités, il est de ceux qui préfèrent ignorer le problème tel des autruches, d'autres qui fuiront la queue entre les jambes à la moindre occasion, certains encore qui attendront le moment parfait pour frapper, d'autres même qui feinteront une retraite afin de mieux harceler. Chaque situation à sa stratégie idéale, mais c'est là le luxe du commun, non pas de ceux qui sont investis d'une mission, de ceux qui ont jurés.
Plutôt mourir que faillir, toutes les vies ne sont pas égale et une peut sauver l'avenir de cette nation. Les lois et pour peu que l'on le saches, si cette peinture est une porte, l'on ne sait réellement où l'on va émerger. Inutile de se confondre en mouvement hasardeux, sans pour autant stagner. Une seule solution valable se présente et doit être exécutée.
Sans plus y consacrer de pensée, même s'il s'agit d'un piège, même si l'intrus se veut vif et alerte, qu'importe. Le vieux chevalier s'élance alors à travers cette peinture, car c'est là son rôle, d'aucun diront que c'est là de la folie, lui nomme ça la loyauté. C'est son rôle, son existence, son destin. Nul ne doit porter la main sur sa Majesté.
La cible est clair, l'objectif limpide, la menace réelle. Toutes les pièces sont en place pour ce dernier acte et cette danse macabre qui s'annonce.
Vous vous retrouvez au cœur de la pièce tant convoitée. Tandis que Sa Majesté dort paisiblement sous ses draps de soie, la silhouette se retourne vers vous. Positionnée à gauche du lit en baldaquin, elle avance doucement vers vous. Malgré la proximité, vous ne parvenez pas à distinguer ne serait-ce qu'un seul trait de son visage ; sous cette capuche noire, il n'y a que l'obscurité. Un détail attire pourtant votre attention ; un As de pique est brodé sur son capuchon.
Avant même de pouvoir vous reculer, l'assassin se rue vers vous, le poignard levé.
Il y avait mille et une façon que toute cette affaire se finisse extrêmement mal à la traversée de cette peinture à la physique sans queue ni tête. Et pas nécessairement uniquement pour un parti comme de l'autre, les possibilités étaient aussi nombreuses que les pensées et idées fugaces saugrenues qui naissaient dans les esprits poussés au talon par l'adrénaline et l'urgence. Mais à quoi bon s'appesantir sur de potentiels échecs ou triomphe ? Placer les boeufs avant la charrue ne serait d'aucun secours voir même l'inverse complet en toute vérité. Et ce même si la crainte que tout bascule subsistait.
Au strict minimum, la traversée s'était faites sans encombres et la peinture qui se voulait portail bien qu'étrange avait remplie son oeuvre et n'était nullement un mensonge ou une quelconque fable, le chevalier avait tout bonnement pénétré sans crier garde dans la chambre de sa Majesté au nez et à la barbe de l'assassin.
Même si ce dernier se terrait sous ses sombres atours, traits indistinguable par la pénombre autant que ces derniers si ce n'est un as de pique des plus suspects faisant certainement office d'emblème, il était évident que ce dernier ne s'attendait guère à ce retournement de situation, à cet invité surprise qui arrivait littéralement au dernier moment, à l'instant crucial et pouvait mettre en échec un plan assurément savamment et méticuleusement préparé depuis qui savait combien de temps ?
Sans lire son faciès, l'agitation ou tout du moins un semblant de surprise devait l'étreindre. L'on n'en saurait jamais rien, cela importait peu. Quoi qu'il en soit, alors que l'intéressé aurait pu se ruer sur sa Majesté, ce dernier s'était dévié de cette dernière. Loué soit les cieux. Cela donnerait du temps, mais surtout, cela permettrait de créer à tout moment un momentum, l'instant clé afin de retourner la situation.
Traits fermes et sévères d'un faciès aux yeux foudroyant de colère l'assassin contre l'obscurité totale prise sur le fait dans sa macabre entreprise à quelques secondes de la réussite. Un duel d'anthologie alors que les deux figures se font face. Le choix est clair pourtant dans l'esprit de l'assassin, que ce soit à cause d'une agitation manifeste, d'un tout pour le tout, ou d'une chorégraphie orchestrée avec soin, ce dernier s'élance poignard à la main.
Même si la lame est humble, un coup bien porté peut être fatal, toutefois le chevalier n'est pas un novice et ne perd pas de vue les priorités. Prendre des coups est acceptable dans une certaine mesure, de surcroît avec des... Cartes supplémentaires à jouer à certains moments clés. Plus encore, le Chevalier sait qu'il PEUT prendre des coups mais surtout, qu'à ce moment là, il le DOIT. Dans le pire des cas, l'assassin qui manque son coup initial pourrait se retourner contre la Reine immédiatement. Qui plus est, encaisser pour mieux contre-attaquer en immobilisant l'arme ? N'est-ce-pas là une tactique habile ? Une blessure de plus pour la collection dans le meilleur des cas, un sacrifice honorable dans le pire. Gagner du temps pour que sa Majesté qui sortira de sa torpeur face au boucan de la confrontation fasse son évasion prestement, ou maîtriser l'assassin dans le meilleur en minimisant les risques pour la Couronne.
Le choix est fait, et le dogue loyal se prépare à subir la frappe de tel manière à pouvoir riposter, immédiatement en coinçant l'assassin dans ce duel qu'il a toutes les chances de l'emporter. Dans le meilleur des cas, un coup non mortel de l'arme mal placé pourrait voir se coincer celle ci, l'idéal qui sonnerait alors le glas du meurtrier.
Il soulève le poignard, l'observant sous toutes les coutures tandis qu'il vous provoque, prenant tout son temps pour essuyer le sang aillant souillé son arme. Sa tête oscille de gauche à droite, il ne semble pas vous craindre ; une silhouette masculine, plutôt forte se trouve face à vous. Bien que vous ayez détourné l'attention du malfrat, vous devez maintenant vous en débarrasser ; le sang se déverse de votre plaie mais vous tenez bon, tel le vaillant guerrier que vous êtes et avez été toute votre vie.
L'heure n'est plus aux enfantillages. L'assassin lève une main vers vous et vous fait signe... d'approcher.
Le coup est vicieux, puissant, et calculé avec précision. Pas étonnant que les jeunes dehors se soient fait occire aussi aisément, quiconque a envoyé cet assassin en ce soir l'a fait en le choisissant avec soin, ce n'est guère un amateur. Un coup pouvant s'avérer mortel sur la durée, et c'est là probablement son but ultime, jouer du poignard et vider de son sang son adversaire en jouant du temps et de frappes de surin précises.
Habile, et coup réussi, et peut être même sadique emprunt d'arrogance. Irritant, mais au jeu du grand oeuvre, le chevalier est pourtant vainqueur en dépit des plumes qu'ils lui ont été arrachés et de la course contre la montre qui s'élance. Les atouts d'un meurtrier nocturne sont la discrétion et la rapidité, or en l'état ce dernier a manqué sa fenêtre est n'est plus à l'abri des ténèbres.
Toutefois là encore quelque chose cloche. Sa majesté ne semble guère percevoir l'agitation ambiante, ce qui en toute logique serait impossible à moins que l'individu ait ajouté quelques préparatifs supplémentaires, ce qui n'est guère à exclure. Ou alors d'autres forces sont à l'oeuvre.
Dans tous les cas, il est trop tard pour reculer et impensable d'attendre à cogiter. L'ambiance est douteuse ? Pesante ? Qu'importe. Les lieux sont clos et l'individu même s'il est redoutable n'en demeure pas moins mortel. Le poignard ne saurait jouer à jeu égal avec l'épée éternellement et l'agilité a ses limites en intérieur alors que la force demeure une valeur sûre.
Et si les yeux ne sont pas fiables, les années d'expérience et l'instinct demeurent les deux égides intemporelles sur lesquelles l'on peut compter. Un duel potentiellement à mort ? Quelle délicieuse attention de la faucheuse, à cette simple pensée le chevalier se gausse d'un rictus anormal. Le sang appelle le sang, et la vermine doit être occis, peu importe, honneur estre obéir, quitte à y laisser la vie.
Courre donc, saute, esquive, une bête acculée et en manque de temps n'a rien à perdre et n'en demeure que plus dangereuse, n'est-ce pas là la règle absolue ? La lame parlera et un assaut soutenu décidera, que danse l'acier et le sang.
Vous vous arrêtez, pris de court. Alors que vous regardez à droite, à gauche, derrière vous... vous finissez par retrouver sa présence. Là, juste à côté du lit en baldaquin. Sur la gauche de Sa Majesté.
Il vous observe, immobile.
Votre corps ne répond plus. Votre cerveau vous dicte de courir vers le lit, de lui sauter à la gorge mais... en vain ; vos muscles s'interdisent un quelconque mouvement. Vous voulez crier, réveiller la Reine qui - étrangement - ne daigne pas s'extirper des bras de Morphée, mais alors que vous ouvrez la bouche, aucun son n'en sort.
L'assassin vous regarde toujours. Puis il lève un bras, levant son pouce... avant de mimer un geste. Un geste que vous connaissez bien. De son poing serré et de son pouce levé, il vient mimer un égorgement.
Ce geste s'accompagne du réveil de Sa Majesté, que vous n'attendiez plus. Vous remarquez que sa gorge se tranche à mesure que le geste est mimé, que le sang gicle sur les draps blancs immaculés désormais tâchés de rouge et que son visage se fait horrifié.
Puis vous reportez votre regard sur cet enfoiré.
Il place son index face à ses lèvres, comme pour vous intimer un secret.
Une voix résonne dans votre esprit. Une... ou plusieurs. À la fois féminines et masculines, floues, contrastant totalement avec la silhouette qui vous fait face, des échos s'immisçant dans votre crâne, martelant sur ses parois.
C'est à n'y rien comprendre... Protéger Sa Majesté, alors que son corps se vide de son sang, que votre foie est perforé et que bientôt, la Reine ne sera plus qu'un lointain souvenir ?...
Soudain, votre vision se teinte de noir.
Vous vous réveillez en sursaut dans des draps trempés de ce qui semble être votre propre sueur. Vous portez une main à votre foie... qui se trouve être intacte. Qui était cette silhouette, mais plus important encore... Que signifiait cet emblème ? À qui appartenait cette voix ?
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