Le temps d'observer votre environnement, vous comprenez que, c'est arrivé une fois encore, Grace. Vous ne vous souvenez plus d'où vous étiez auparavant, de ce que vous avez fait de la nuit. Tout ce que vous savez pour sûr, c'est que vos muscles sont tendus et douloureux, et que vous ressentez une vive fatigue dans vos jambes, et le long de votre dos. Efruru zech el rcoeu, iofel sdna esl esvein.
Derrière vous, les grandes portes s'ouvrent enfin, et vous constatez que l'église est plutôt bien conservée, et assez vaste pour accueillir une bonne centaine de fidèles.
Un seul homme entre toutefois, maugréant, le dos vouté, une pelle fendue en deux se balançant sur ses épaules. A chaque pas, il fait tomber de la terre et de la boue sur le sol autrefois consacré. Il fait tomber sa carcasse sur un banc à côté du votre, et embrase une pipe rapidement glissée entre ses dents.
L'homme vous pointe de son horrible doigt calleux et dépourvu d'ongle. Vous, héritière de la noblesse et de la grandeur, désignée de la sorte par un manant couvert de boue et de poussière. Cette image vous agace.
Puis, vous considérez ce qu'il vous a dit, et vous baissez les yeux vers votre tenue. Vous la trouvez couverte de sang, encore frais, parfois infiltré jusque sous vos ongles...
D'un doigt, l'homme éteint sa pipe et la range à l'intérieur de son veston. Il récupère sa pelle et se lève. Vous l'observez, toujours en proie à la confusion de votre éveil et de vos souvenirs éparses que vous ne parvenez pas à mettre dans le bon ordre. Vous le connaissez ? Oui, oui ! C'est fort probable.
Il observe la porte d'où il vient de jaillir, et semble sur le point de repartir. La pelle posée sur son épaule, il vous lance un regard en coin et avance d'un premier pas.
Surpris par votre réaction, il vous observe de ses yeux écarquillés, avant que son regard ne vous paraisse amer, comme marqué par une pointe de déception. La seconde d'après, votre magie fait son œuvre, et l'émotion qu'il vous témoigne change du tout au tout. Ses yeux deviennent ronds, et un sourire béat apparaît sur sa trogne, vous le savez conquis à votre cause, docile.
Hélas, votre magie n'altère en rien l'odeur nauséabonde de tabac froid de boue et de sueur qui s'échappe de sa carcasse.
Un air frais secoue votre chevelure, tandis que vous posez le regard sur le paysage. Vous êtes de retour ?
Votre cœur s'emballe, et vous ressentez une vive anxiété face à l'impossible. Ou bien est-ce de la colère ?
Un paysage incompréhensible, que vous n'avez jamais contemplé. Quoique ?
Devant vous se dresse une plaine grise évoluant sous un ciel nuageux. Vallonée et couverte d'une herbe presque morte, elle s'étend par delà l'horizon, plus loin que votre regard ne peut aller. Un détail attire cependant votre attention: Il n'y a pas un mètre carré de cette plaine qui n'est pas décorée par une tombe. Il y en a des dizaines et des dizaines, toutes creusées de la même façon, décorées avec la même intention.
Vous comprenez alors. Votre accompagnateur.. C'est un fossoyeur.
Et vous, alors ? Qu'êtes-vous dans cette histoire ? Vous devez bien avoir une petite idée, non ?
...
Un regard par dessus votre épaule vous permet de voir que le fossoyeur vous fixe comme une chouette fixerait la nuit impénétrable. Son regard est effrayant, soutenu par des paupières couvertes de boue. Il rit, comme s'il se délectait de vos réactions. Il semble d'ailleurs remarquer que le surnom dont il vous a affublé s'est accaparé un peu de votre curiosité, ce qui confirme qu'il n'est pas anodin.
Le fossoyeur ne se formalise pas de votre soudaine brutalité, ainsi que de la façon dont votre ton change, que vos paroles se font plus affutées.
Il ouvre sa main gonflée et couverte de cals vers les tombes. Qu'est-ce qu'il veut dire au juste ? ... Auriez.. Auriez vous tué tous ces gens ?!
Votre cœur accélère quelque peu, tandis que votre colère ne fait que bouillir d'avantage. Vous avez vos réponses, mais elles ne font que soulever plus d'interrogations encore. La vue de cet énergumène vous devient insupportable, et vous ne pouvez vous résoudre à n'être qu'un simple instrument. C'est indigne de vous.
Est-ce venue l'heure de vous affirmer, ou de vous blottir dans l'ignorance et l'errance ?
Il avance de quelques pas, et un sourire macabre se dessine. Il dévoile une dentition jaunie et couverte de trous rafistolés à la hâte, tout le dégoût que vous avez envers lui montant drastiquement en intensité.
Il tape ses mains contre ses cuisses, le bruit vous fait sursauter. Depuis quand êtes vous devenu si sensible ? Quelque chose cloche, vos sens ne se mettent pas en émoi sans raison. Vous sentez que quelque chose rôde autour de vous, comme une immense forme squelettique et menaçante, qui rapproche dangereusement ses bras de votre frêle silhouette. Pour autant, vous avez également l'assurance que si vous daigniez tourner la tête, vous ne verriez rien d'autre que la plaine désolée.
Il ricane avant de vous pousser du bout de l'index.
Il vous offre des réponses, mais rien n'est à votre goût. Sa présence vous importunait naguère, elle vous insupporte maintenant. Et comme bien souvent, lorsque quelque chose vous insupporte, vous avez tendance à l'arracher sans considération.
Vous dégainez votre lame et n'avez pas à réfléchir deux fois. D'un geste, vous imposez le rasoir à sa chair. Elle ouvre sa gorge tandis qu'il tombe à genoux. Une seconde incrédule, il secoue la tête sous le choc, avant de porter une main sur la plaie dans le vain espoir de la colmater. Ce spectacle est assez pathétique.
Ca y est, c'en est fini de lui.
...
Il convulse, manque d'avaler sa langue, commence à hurler à la mort tandis que sa voix s'éteint. Puis aucun bruit. Il s'arrête net, mort.
Vous restez confuse une longue seconde, les yeux écarquillés. Vous remarquez alors que tout autour de vous devient rouge. Et vous relevez le nez vers le ciel.
Les étoiles se sont éteintes, et la voute stellaire n'est pour vous rien de plus qu'une toile sombre complètement opaque, quoique vous craignez désormais que quelque chose se cache derrière et vous observe.
La lune en revanche a triplé de taille, et arbore un rouge similaire à celui du rubis logé aux creux de vos prunelles. Ecarlate, intense, terrifiante. On dirait qu'elle est sur le point de tomber sur le champ de tombes. Elle colore la scène et projette sur vous une lueur menaçante. Vous avez l'impression que ce n'est qu'un gigantesque œil qui n'a plus pour vous qu'une haine vorace et insatiable.
Votre coeur bat, vous voilà prisonnière de cet écrin macabre et horrifique. Tout autour de vous, la pénombre s'installe, et vous vous retrouvez bien vite seule, avec votre souffle comme unique mélodie. Vos yeux sont grands ouverts, mais vous ne voyez rien, sinon du noir et du rouge, votre souffle, puis du noir, votre coeur qui bat, plus de rouge.
La folie s'approche, le sang afflue dans vos veines, une chaleur s'empare de votre nuque.
Vous la voyez alors, cette silhouette qui se tient droite dans l'ombre, uniquement visible grâce à la blancheur éclatante de sa peau qui contraste avec le jais absolu. Une femme, qui vous observe, sans mouvement, sans.. sans rien du tout, à vrai dire. Vous voyez son visage, et ses yeux grands ouverts qui vous observent sans ciller.
La peur enserre votre corps, et vous êtes presque tétanisée face à cette figure. Elle n'est qu'un petit point à quelques mètres et n'a rien d'impressionnant, mais c'est comme si votre regard ne pouvait se poser sur elle sans vous mortifier sur place.
Alors, vous êtes projetée sur le côté, et vous remarquez que sur vous se met à grimper un squelette, à la différence que ses os sont complètement rouges. Vous tournez la tête tandis que l'adrénaline commence à vous faire trembler, et vous posez l'oeil sur une armée de squelettes. Comme des vagues porteuses de malheur, ils déferlent sur la plaine, leur nombre équivalant celui des tombes.
Il y a ces squelettes, et cette lune, et cette femme, et cette douleur, et ce fossoyeur, et cet océan rougeoyant qui ondule face à votre incrédulité. Un miracle - ou bien était-ce un spasme - vous permet de vous redresser sur vos jambes et de bousculer un premier squelette.
Vous toisez la silhouette fantomatique face à vous, unique point blanc sur une toile d'un noir opaque. Derrière vous, l'apocalypse se déchaine et vous commencez à sentir le sol vrombir sous les ruées funestes des squelettes et pourtant... Pourtant, vous êtes plus effrayée par cette simple tâche blanche.
Un visage inexpressif, à l'exception d'un sourire fou s'étendant d'une oreille à l'autre. Elle vous guette, semblable à ces statues de marbre qui observent les lamentations.
Dans un éclair de lucidité, vous décidez de vous approcher de cette forme, mais les squelettes sont déjà sur vos talons. Vous laissez libre court à cette violence qui vous caractérise, votre lame brusquant humérus et cage thoracique dans l'espoir vain et déraisonné de vous échapper. Vous donnez l'impression d'être prise dans des sables mouvants, les os animés drainant votre énergie tandis que la tâche grossit un peu plus à chaque pas.
Elle vous regarde toujours fixement, son visage complètement immobile.
Vous continuez à vous débattre, sentant une furie vengeresse que vous n'avez jamais expérimenté jusqu'à lors. Vous avez l'impression que vos doigts sont désormais garnis de griffes tant vous les agitez avec une rapidité et force que vous ne soupçonniez pas.
Vous ignorez la douleur, et vous vous approchez une fois de plus de l'entité. Pendant une seconde bénie des dieux, les squelettes vous laissent vous échapper. Un regard derrière votre épaule vous indique toutefois qu'une petite centaine est en approche. La horde fonce sur vous dans une colère bourdonnante. Les os se fracturent, craquent, font trembler le sol, déchaussent les tombes.
Vous revenez vers la silhouette, et remarquez qu'elle s'est approchée de vous. C'est une femme, à la peau lisse et neigeuse, qui cette fois vous observe d'un air sérieux, sans sourire ni rictus. Il y a toutefois autour d'elle quelque chose de mystérieux. De captivant. De... rassurant ?
Elle est à portée de main, mais vous n'osez pas immédiatement la toucher. Vous savez que votre prochain geste revêtira une importance capitale.
Vous vous approchez de la Dame, de cette silhouette d'albâtre qui vous regarde. Vous voyez une lueur de vie dans ses yeux cadavériques, et y découvrez une certaine impatience. Alors votre main se dresse, et elle effleure cette peau. Le toucher vous paraît mortel, plus froid que la plus silencieuse des nuits, plus indomptable que le plus terrible des hivers.
Vos regards se croisent, et vous vous sentez défaillir. Vous ne perdez pas simplement connaissance: Vous mourez. Votre cœur s'arrête subitement, vos yeux se révulsent, et vous êtes prise d'une série d'hallucination.
Un flash, la lune rouge, flash, les squelettes qui fondent sur vous. La détresse, la peur, puis cette violence d'abord latente puis manifeste. Un flash, le cri abominable et torturé d'un loup qui hurle, l'adrénaline qui tambourine dans vos tympans, les rubis qui deviennent topazes, le froid qui s'intensifie. Flash, un trône gigantesque vers lequel vous avancez dans le calme, puis vous, recroquevillée sur vous même, avançant sur le sol avec vos mains. Un autre flash, le carnage, toujours plus, puis cette promesse de dissiper ce brouillard que vous sentez toujours rôder autour de vos pensées. E-
Vous ouvrez les yeux et hurlez tandis que l'air se refuse à retourner vers vos poumons une ultime seconde. Votre corps entier est en crise et tremble comme une feuille malmenée par le mistral. Vos muscles se rétractent, la folie se dissipe.
Les yeux s'ouvrent, et vous observez le visage horrifié d'un nanti, plaqué au sol. Vous êtes sur son abdomen, et remarquez que le reflet de vos yeux dans la flaque de sang est celui d'une ambre mordorée. Il est mort, son dernier regard était pour vous. Un regard ahuri et incrédule, comme si la mort l'avait frappé avec une violence et surprise qu'il ne pensait pas possible. Tout son corps est sculpté de lacérations profondes et intenses, et vous croyez sentir le gout du sang s'imposer à votre langue.
Vous ne comprenez pas, ou peut-être venez-vous d'avoir la réponse à tous vos maux. A cette folie qui dort sous votre épiderme, et ne se manifeste que par à-coups.
Il ne vous reste plus qu'à vous éveiller, Grace. Car de grandes choses vous attendent.
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