Vous voilà assise sur l'un des sièges faisant face au bureau. Votre interlocuteur semble préoccupé, et vous comprenez à la présence d'une lettre entre ses mains... que c'est à raison. Il souffle des nasaux, prend le temps de réarranger les quelques mèches rebelles sur le haut de son crâne et s'approche de vous, presque livide.
Le Conseiller vous tend la lettre. Celle-ci n'est pas signée, pas même qu'elle ne possède de destinataire. Le sceau est déjà brisé mais il vous la tend refermée...
Néanmoins, les impératifs de la Couronne ne sauraient être mis en attente ; et c'est en servante responsable – quoique légèrement agacée – de l'État que la commissaire s’empresse de se rendre devers le bureau du Conseiller requérant son immédiate présence. Le trajet devers ledit Conseiller, malencontreusement sis au quatrième étage d'une tour aux escaliers colimaçonnés et de bien trop étroite envergure, eut cependant presque raison de son flegme habituel. Son souffle porté jusqu'à l’essoufflement, Beatrix se sait en retard d'au moins un bon quart d'heure lorsqu'elle parvient enfin à se hisser au sommet de la dernière marche. Tailladée d'un point de côté, les genoux endoloris et le bas du dos élancé de vives pointes de douleur, sa posture exagérément voûtée s'empire sous les affres de l'inconfort, au point qu'elle regrette presque de ne pas s'être munie d'une quelconque canne d'infortune pour s'aider en cette épreuve. L'officière parvient, cahin-caha, à traîner ses jambes jusqu'au bout d'un couloir à grand-peine éclairé par une lucarne aux volets de bois à semi-rabattus et à la tapisserie empoussiérée. Une porte légèrement entrebâillée l'accueille, de même que la voix du Conseiller lui intimant d'entrer.
Elle ne passe pas même un second pied par delà l'embrasure qu'elle commence déjà à se répandre en excuses.
-Mes humbles salutations, messire. Je vous prie de me pardonner pour le retard que j'accuse ; j'ai hélas eu fort à faire – un bien pieux mensonge, encore que grimper des marches quatre à quatre n'est pas donné à tout le monde - mais me suis hâtée dès que possible devers vous ...
Sans plus d'ambages, Beatrix accepte à cœur joie l'invitation à s'asseoir concédée par son interlocuteur. Elle retient un soupir de soulagement lorsque son dos vient rencontrer le dossier de sa chaise ; et, pour contrebalancer son affliction, se redresse de tout son soûl, dévoilant soudainement sa haute stature qui disparaît inexorablement dès lors qu'elle se remet debout.
La commissaire écoute avec attention et tout le scrupule nécessaire les dires troublants du Conseiller, puis se saisit de la lettre du bout des doigts avec autant de minutie que possible ; comme si elle eut peur de se tâcher à son contact. Immédiatement, l'officière remarque son sceau verdâtre – rompu, et par conséquent déjà lu – frappé d'une figure macabre de crâne, dont la présence lui occasionne un froncement de sourcils. Elle lance un regard en biais à son interlocuteur, puis prononce par politesse :
-Je me permets.
Beatrix glisse la lettre hors de son enveloppe, la déplie d'un geste sec, et en absorbe rapidement le contenu. Bien qu'opaques dans leur énoncé, les mots qu'elle abrite arborent – en effet – de potentielles esquisses de sédition, émanant d'une hypothétique faction nobiliaire. Il va de soi que la Couronne ne peut tolérer à ce que l'on fomente et ourdisse de si misérables conjurations en les murs de la châtellerie ; mais de nombreuses ombres planent encore quant au potentiel motif de ces ébauches de traîtrise, de même qu'à propos de l'identité de leurs auteurs ...
-... Fort bien. Achève-t-elle en redressant le menton pour croiser le regard du Conseiller. Je comprends et partage votre inquiétude, messire. Cela dit, je peine à deviner quelle peut bien être la cible de leur décision dite « fatale ».
Tout de même pas ... Sa Majesté … ? Non, non, c'en serait trop. En revanche, l'on peut songer à bien d'autres cibles potentielles : un ministre un zeste trop assidu dans son œuvre d'imposition des familles nobles (ou s'étant montré de par trop incorruptible), un conseiller rival jalousant l'influence d'un autre, ou une certaine commissaire s'étant par trop efforcée de rappeler les obligations de service militaire au fils héritier d'une noble lignée … Les sourcils de l'officière se froncent plus gravement encore. Allons, assurément, personne ne lui voudrait du mal à elle !
-Messire, préfère-t-elle enchaîner plutôt que de se prêter à des conjectures infructueuses, auriez-vous eu connaissance, par n'importe quel hasard, d'un récent trépas parmi les nobles lignées de Havrecœur ? Et plus précisément d'une noble dame ? Cela pourrait nous aiguiller sur l'identité éventuelle du rédacteur de cette missive.
De par la petitesse de son lignage, la commissaire ne se trouve guère au courant des affaires immédiates de l'aristocratie. Si les racontars de la cour, du conseil de la reine et du personnel administratif de la châtellerie ne lui échappent que rarement, les étroites sociabilités privées de la noblesse lui sont bien moins accessibles – sans pour lui être autant tout à fait étrangère.
-Et, par ailleurs, sait-on la moindre chose sur ce sceau ? L'avez-vous trouvé intact, ou déjà rompu ? Achève-t-elle. Outre son allure macabre, il ne m'évoque rien.
Et c'est sans doute cela qui l'effraie le plus, car il n'est encore aucun sceau peu ou prou officiel que Beatrix Zilveren-Pantoffel de Platvoetstadt n'a point déjà pourfendu au fil de ses innombrables heures de descellement du courrier royal !
À ces mots, le Conseiller sort une carte de son veston et la glisse dans votre direction. Vous baissez les yeux vers cette dernière ; c'est un As de Pique. L'incompréhension vous gagne tandis que vous l'observez de nouveau. Se pourrait-il que le Conseiller ait quelque chose de plus... important à vous confier ?
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