Paradoxal ♢Solitaire ♢ Charismatique ♢ Égoïste ♢ Curieux ♢ Méfiant ♢ Nonchalant ♢ Menteur ♢ Dynamique ♢ Escroc ♢ Intelligent ♢ Charmeur ♢ Rempli de rancoeur ♢ Cherche à exister ♢ Manipulateur ♢ Sociable ♢ Mal dans sa peau
Il était comme une pièce, avec deux faces. Une ambivalence dont il s’efforçait de montrer seulement le bon côté à tout un chacun, parce qu’il jouait un rôle en permanence.
On dira de lui qu’il sourit, tel le saltimbanque qu’il est, qu’il sait plaisanter, qu’il a une certaine intelligence et une vivacité d’esprit, qu’il n’est pas forcément avenant, mais pas forcément brusque non plus. On le verra assuré et fier, cherchant à attirer la foule pour gagner sa croûte.
Sa nonchalance, on pouvait sans doute l’envier, si elle n’était pas le fruit des regards qui pouvaient bien se poser sur lui et qu'avec le temps il avait fini par essayer de rendre invisibles.
Ce que l’on ne verra pas, c’est son mal-être perpétuel. Que sous ses belles paroles, distillées savamment, sous son dynamisme pouvant passer par une fougue de jeunesse toujours présente, était tapi un être détruit, qui se sentait mieux seul, à la rancoeur tenace, à qui l’on avait pris beaucoup, jusqu’à la dignité, un être qui cherchait des choses simples : apprendre à exister et à (s’)aimer.
Saltimbanque - De la prestidigitation qui n’a que pour magie l’agilité de ses doigts aux chorégraphies travaillées avec deux sabres courbes, il sait se montrer, il sait attirer le regard et il sait être habile.
Escroc - Ses tours de passe-passe lui permettent d’assurer le spectacle, mais aussi de s’adonner à des jeux de duperie, pour lesquels les spectateurs pensent pouvoir gagner et doubler leur mise contre un tricheur habile qui ne leur laisse pas la moindre chance. L’art de la divination, quand il se permet de tirer les cartes contre quelques pièces… que du vent dans son cas, une improvisation intelligente pour qu’autrui soit satisfait et que lui, puisse toucher son dû.
Vol à la tire - Des mots habiles glissés par-ci, une main qui pointe une direction, un sourire par-là, et hop, une bourse qui disparaît. Oh, on peut aussi rajouter le vol à l’étalage comme l’un de ses larcins d’enfance, dans le même registre.
Tromperie - Ne jamais montrer ce qu’il pense réellement, mentir, manipuler, flatter, méfiez-vous des mots qui sortent de sa bouche et de ses mimiques.
Deux lames effilées - Il en a toujours eu deux, dont il ne se sépare pas. Petit, deux couteaux rouillés, juste au cas où, pour la survie dans des rues crasseuses la nuit. Plus grand, durant son service militaire et par la suite, deux sabres courbés, qui lui servent quotidiennement comme partenaires de spectacle. Sait-il s’en servir ? Très probablement, voulez-vous essayer ?
La vie ne lui avait rien offert. On pouvait même dire qu’elle lui avait tout pris.
Il n’était rien. On lui avait répété, encore et encore, jusqu’à le dégoûter de lui-même. Il était… différent. Différent des siens mais aussi trop différent des autres. Ses cornes, qui pouvaient faire penser à celles ornant les crânes des demi-diables, restaient peut-être l’élément le moins aberrant dans son physique. Le plus commun. Alors même qu’elles étaient coupées.
Et s’il pouvait laisser le regard des autres se poser sur cette ramure de kératine sciée qui surplombait de peu son crâne, s’il pouvait enfouir sa queue diabolique sous ses vêtements en l’enroulant autour de son buste sous sa chemise, il ne pouvait pas s’affranchir de la couleur singulière de sa peau. Il était remarquable. Et bien évidemment, remarqué.
Il était parti de chez lui encore enfant, vers ses dix ans. Etait-ce véritablement de sa propre volonté, quand ses parents le traitaient comme s’il n’était qu’un étranger, en le reniant, en le frappant ? Difficile à dire. Difficile de supporter tantôt une indifférence glaciale, tantôt une montagne de reproches pour des choses pour lesquelles il n’y était parfois pour rien, parfois accompagnées de coups. Comme si son étrangeté, l’anomalie qu’il était, suffisait à être la source de certains maux et que sa propre personne en était l’exutoire. Dès lors, fuir un tel environnement n’avait été que sa seule option.
A présent sans maison, sans famille, sans le sou, il ne pouvait que rejoindre les mendiants, ces êtres invisibles, et vivre à la rue à leurs côtés.
Lui, ses cornes coupées, sa queue démoniaque, sa peau rouge…
Invisible.
La bonne blague.
On le regardait, parfois curieusement, parfois parce que certains le reconnaissaient, très probablement à cause de sa singularité. Et si les demi-diables étaient connus pour être relativement discrets, lui ne pouvait pas l’être malgré tous les efforts qu’il pouvait faire. Malgré ce tissu crasseux, ce haillon abandonné qu’il avait trouvé et dont il avait choisi de se draper de la tête aux pieds par-dessus ses vêtements pour cacher sa peau, on le regardait, on l’observait faire la manche. Peut-être comme une bête de foire. Peut-être par compassion. Peut-être par mépris. Peut-être par pitié. Mais à ses yeux, aucune de ces raisons n’était bonne. Il voulait juste que ces regards appuyés disparaissent. Qu’on le laisse tranquille. Qu’on le laisse vivre.
Cette vie - enfin, cette survie - lui avait nécessairement appris le vol. Vol à l’étalage, pour se garantir de temps en temps un repas un peu mieux qu’à l’habitude - pas grand-chose, donc. Vol à la tire, pour récupérer des piécettes sonnantes et trébuchantes pour s’acheter des vêtements, de la nourriture ou pouvoir accéder à des soins rudimentaires. Rien qui n’avait d’autre intérêt que de subsister un peu plus longtemps dans une cité qui se voulait le dernier refuge de l’humanité. Et bien sûr, on l’attrapait assez souvent pour ces petits larcins, surtout à ses début. On le prenait alors par le col et on le jetait dans une cellule, pour quelques heures, quelques jours, quelques semaines… On le punissait pour sa conduite, de cette façon. On lui apprenait que c’était mal, comme comportement. Paradoxalement, on lui offrait un toit et un couvert qu’il ne pourrait jamais véritablement s’offrir tout seul à son âge. Ce n’était pas grand-chose, et sans doute un peu miteux, mais c’était toujours mieux que ce qu’il possédait. Rien.
Parfois, on le libérait et on le ramenait chez ses parents. Il s’enfuyait aussi tôt. Il ne voulait plus avoir affaire avec eux. Probablement que l’inverse était valable aussi.
Il avait fini par apprendre à se méfier d’autrui. A se méfier des types louches, qui tentaient de l’approcher pour il ne savait quelles fins. A se méfier des mecs un peu trop éméchés, qui voyaient en cette silhouette un monstre plutôt qu’un petit homme. Il avait eu la peur de sa vie, une nuit, quand un homme qui empestait l’alcool avait brandi devant lui la lame d’un poignard, avec la très nette envie de s’en servir sur lui. Son salut n’avait probablement été dû qu’à sa petite corpulence, parfaite pour se glisser dans des espaces trop étroits pour les adultes. Depuis, il s’était dégoté deux petits couteaux rouillés, au tranchant perdu mais qui pourraient toujours dissuader, au mieux poinçonner.
Dans son esprit, la belle cité d’Havrecoeur avait plutôt pris le surnom de Crèvecoeur.
Il avait continué à grandir de cette façon, à vivre au jour le jour, à devoir supporter des regards qui ne faisaient que ruminer des pensées négatives à un pauvre être meurtri.
Rhyse ne pouvait posséder que du ressentiment dans son coeur. La rancoeur d’avoir été traité comme un pestiféré et battu par son propre sang, par ceux qui devaient veiller sur lui, la culpabilité et l’incompréhension d’être né différent et des maux que cela lui apportait. Si la naissance pouvait s’apparenter à une bénédiction de la vie, pour lui, elle n’était qu’une damnation. Le pire, c’était qu’il ne demandait pas grand-chose, dans les faits. Vivre décemment et la tranquillité.
Mais c’était visiblement trop demandé. Vivre à la rue était également difficile, déshonorant, d’une certaine façon, et effritait sa dignité. Avec peu d’interactions sociales régulières aussi, peu de positif, il ne pouvait qu’aller mal. Il ne pouvait que se sentir mal. Ce qui, bien évidemment, continuait d’alimenter sa rancoeur et son amertume.
Le Rituel de la Révélation, la magie, cela ne l’intéressait pas, pas même lorsqu’il eut quinze ans. Peut-être aurait-il pu être un élément doué… Mais il avait un but bien plus simple dans la vie, et pourtant qui lui semblait toujours aussi inatteignable : exister. Simplement, exister.
Vint à peu près l’âge de ses seize ans, où s’il avait pris un peu d’habileté dans ses vols, il continuait à se faire pincer de temps à autre. Le service militaire ? Sans lui, bien évidemment. Enfin… ça, c’était son souhait. Qu’irait-il faire là-dedans alors qu’il vivait à la rue ?
Son voeu ne fut pas exaucé, bien au contraire. On l’avait jeté dans une cellule pour un nouveau vol, et au lieu de le libérer à la fin de sa période de détention, on avait jugé bon de le regarder d’un peu plus près, lui, sa corpulence, sa silhouette d’adolescent et son physique atypique. Son nom ? Ils le connaissaient déjà. Facile à tracer et retrouver sa famille, s’informer - par quel biais, Rhyse lui-même n’avait pas cherché à savoir - de son âge, et de comprendre, que s’il n’avait peut-être pas seize ans révolus, il en était tout proche.
Ni une, ni deux, on le traîna jusqu’aux bâtiments réservés à ces jeunes recrues qui officieraient et apprendraient pendant une année. Rhyse, durant tout le trajet, avait eu l’attitude d’un chat qu’on voulait mettre dans une bassine d’eau : le poil hérissé, feulant, les griffes dehors… Il les avait insulté de tous les noms, les avait fusillé du regard, il avait gesticulé, sa queue démoniaque fouettant l’air pour parachever son profond mécontentement. Puis il était tombé sur un os. Un instructeur qui, dès son arrivée, l’avait recadré sèchement, sans même calculer toutes les différences qu’il pouvait bien avoir. Il l’avait considéré comme n’importe lequel des jeunes gens sous son commandement. Pour la première fois de sa vie, on agissait avec lui comme s’il était normal. Et c’était peut-être le plus beau souvenir qui peuplait encore la tête de Rhyse depuis : l’indifférence que cet homme avait entretenue le concernant, le remettant sur un pied d’égalité avec tous les autres.
Cette année avait été un long moment hors du temps, hors de la réalité, hors de sa réalité. La réintroduction à une vie en communauté, pouvoir dormir dans un lit, manger des repas convenables, entretenir son corps... Des choses qu’il avait oubliées depuis si longtemps. Des choses qui avaient permis d’adoucir un peu sa rancoeur, momentanément. Il s’était même découvert un attrait pour le maniement d’une paire de sabres courbes.
Néanmoins, toutes les bonnes choses avaient une fin. Rhyse savait pertinemment que c’était l’attitude de son instructeur qui lui avait permis de bénéficier d’un traitement égal à celui des autres. Il pensait donc, que s’il s’engageait un peu plus dans une voie militaire, il retrouverait aussitôt les regards appuyés, les remarques, tout ce qui avait bien pu pourrir sa vie pendant des années durant.
Alors il choisit de retourner dans la rue, piteusement.
Mais quand on n’était plus un gosse, la manche, ça marchait moins bien. Beaucoup moins bien. Surtout quand on n’était pas le type au physique le plus commun. Il connut de sales journées, de sales semaines, recommençant les vols, recommençant un cycle qu’il connaissait déjà très bien.
Ce n’était pourtant pas une vie. Rhyse le savait. Peut-être aurait-il pu chercher un travail, même le plus commun possible, pour commencer à gagner sa vie. Mais il avait peur du regard des autres. Peur qu’on le refuse, peur qu’on le juge, peur que le rejet continue, peur de dépendre d’autrui, probablement à cause de la maigre fierté qu’il lui restait. Il était en colère, aussi, mais ne faisait rien pour arranger cela.
Alors les options devenaient très vite limitées, et ce qu’il envisageait prenait plus des atours de dilemmes. Mais choisir, de son point de vue, entre la peste ou le choléra, on préférait souvent prendre la troisième option, celle qui n’existait pas.
Le jeune homme prit ainsi la décision de se découvrir au grand jour, commença à alpaguer les passants, prenait son courage à pleines mains pour faire face à ces regards qu’il cherchait à attirer de lui-même. Lui qui avait toujours pris le parti de se cacher, de vouloir passer inaperçu, se montrait. Utiliser son apparence pour gagner sa vie. Son apparence plutôt que vendre son corps. La dignité était tombée. Et plus rien ne pouvait l’arrêter. Plus rien ne pouvait l’atteindre, parce qu’il était au plus bas.
Très vite, il choisit de mettre à profit l’habileté de ses mains de voleur pour faire quelques tours de passe-passe : une pièce par ici, elle disparaissait, réapparaissait derrière une oreille. Si ses tours ne captivaient pas grand monde par leur essence, la nonchalance et l’indifférence apparentes qu’il se forgea rapidement pour éviter de trop penser à ces yeux braqués sur lui, ainsi que son physique particulier, attiraient l’oeil. C’était comme s’il était né pour ça, né pour le spectacle. né pour jouer un rôle qu’il ne souhaitait pas.
Alors Rhyse continua d’en jouer, décida de s’acheter des vêtements colorés, proche de la teinte de sa peau, pour attirer l’oeil et les esprits encore plus, marqua son corps à l’encre jusqu’à son visage. C’était finalement sa seule façon de vivre dans un confort décent. Intérieurement, il s’en maudissait et il maudissait le monde.
Tout cela payait. Tout cela lui permettait de payer des repas chauds, de dormir sous un toit, de commencer à mener un semblant de vie normale. Quand il restait parfois dans les tavernes, il devait passer pour un être sociable qui n’avait honte de rien. S’ils savaient, tous…
On lui avait ravi sa candeur très tôt, sa naïveté d’enfant et maintenant, il était contraint de ravaler la moindre goutte de fierté qu’il aurait pu posséder pour s’exhiber en faisant comme si tout allait bien, comme si tout était parfaitement voulu et maîtrisé.
Puis il avait commencé à développer de nouveaux tours, avait trouvé deux sabres courbes, s’en servait pour faire le spectacle, se remémorant son passage de service militaire, usait de paroles pour haranguer la foule, de sourires pour pousser les gens à lui laisser une petite pièce à la fin de sa prestation de rue.
Rhyse s’était forgé un masque, il avait appris à manier les mots, au fil des années, à manipuler, à tromper, à duper. Si la majorité de son spectacle était véridique et un véritable étalage de performance, il lui arrivait d’escroquer autrui. La pièce n’était pas sous le bon gobelet ? Quel dommage… ou quelle adresse de sa part. De temps à autre, avec son jeu de tarot, dont il se servait pour faire des tours, il prétendait pouvoir lire l’avenir en tirant les cartes contre quelques pièces. Ce qu’il faisait ? De l’improvisation artistique, suivant les cartes étalées devant lui et le profil de la personne, il faisait entendre ce qui était susceptible de rassurer ou d’effrayer.
Et tout aussi saltimbanque qu’il pouvait être, escroc, diseur de bonne aventure quand il en avait l’envie, il restait aussi, de temps à autre, un voleur.
Derrière ses si beaux sourires, son coeur pleurait. Derrière ses paroles, ses rires, du vide. Derrière son charisme, sa philosophie de vie apparente, sa bonhomie, la tristesse d’une existence non choisie et les blessures profondes d’une âme en peine qui cherchait simplement à exister dans la tranquillité.
Il devait bien y avoir quelques mages charitables, de bonnes âmes prêtes à l’aider à être un peu moins remarquable, cela dit… Des personnes qui auraient pu alléger ses souffrances intérieures pour lui permettre une autre vie. Et puis quoi encore ? S’abaisser à requérir l’aide des autres ? Dépendre de quelqu'un ? Se cacher de nouveau ? Sa différence était autant sa damnation que sa salvation. Elle était celle qui le faisait souffrir et celle qui lui permettait d’avoir un semblant de vie. Il la détestait mais pas assez pour s’en séparer, pour la camoufler aux yeux de tous. C’était bien l’unique point sur lequel il concédait à ne jamais mentir.
Il n’était qu’un roi de la rue qui n’avait jamais véritablement voulu de cette couronne.
Il n’était qu’une bizarrerie dans un monde parsemé d’étrange.
Restait à savoir…
À qui mentait-il le plus, les autres ou lui-même ?
Qui maudissait-il le plus, les autres ou lui-même ?